Au coin du feu ⌖ Elijah

Il y avait toujours autant d'activité autour de ta maison que dans tes souvenirs. Cela grouillait de personnes, qui passaient et venaient, repartaient. Des Eagles et des amis de la famille, des voisins de temps à autre.

Tu n'étais pas vraiment là en tant que milicien. Tu ne te sentais plus à ta place dans cette maison depuis que tu l'avais quittée. Ce n'était pas comme si tes petits frère et sœurs ne t'avaient pas invité régulièrement et rassuré quant à ta place dans la famille. Tu fuyais moins... Mais tu ne voulais pas que tes activités leur retombe dessus. Tu ne passais jamais d'ordinaire en dehors des réunions importantes entre Eagles.

Mais tu avais besoin de fouiller dans les affaires de ton père. On t'adressa des regards et des sourires surpris, auxquels tu répondis par des salutations placides. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu l'aîné des Richardson traîner de lui-même près de la maison familiale.

Tu espéras ne pas tomber sur ta mère. Tu avais spécialement choisi un jour où elle travaillait ailleurs en ville, et tes frangin.e.s devraient être en cours... Sauf peut-être Ulysse.

Quand tu entras, tu remarquas la cheminée d'allumée dans le salon. Des bruits de voix venaient de la salle de réunion des Eagles un peu plus loin dans la maison.
Tu marquas un temps de pause sur le palier après avoir refermé la porte derrière toi.

Les odeurs de ton enfance vinrent hanter tes narines. Tu fermas les yeux, les oreilles légèrement bourdonnantes.
Tu les rouvris, sachant où te diriger.

Tu montas à l'étage, en direction du bureau de ton père.

Tu le trouvas fermé à clef.
Hm.

Tu redescendis dans l'idée de la trouver. En général ta mère les rangeait dans le salon, dans le petit meuble à côté du canapé. Si elle a caché la clef du bureau... Il te faudra lui parler.

Tu fouillas pendant plusieurs minutes, patient.

Un frisson dressa soudainement ton échine. Tu tournes la tête.

...

Un air dubitatif s'étala dans ton regard à la vision qui t'attendait.

...

Bien sûr, tu reconnus immédiatement ton versus. Mais qu'est-ce qu'il...
Tu jetas un regard dans la direction où se trouvait la salle de réunion. Tu redescendis ta vision sur le chat qui se frottait à ta jambe puis qui miaula doucement. Tu te baisses en t'accroupissant légèrement.

Que faisait-il ici, dans ce lieu parmi tous ? Il est fou ? En reniflant l'air, il te vient des embruns de sang. Tu le scrutes attentivement sans répondre à son questionnement.

Il est blessé ?
Ton bref examen t'informa qu'il n'avait pas l'air en danger de mort. Tu soupires en fermant un instant les yeux. Tu rouvres tes azurs sur le soi-disant félin.

- Tu ne devrais pas être ici, Elijah.

Si les anges du coin perçoivent un démon de second rang dans le bastion des Eagles, il y aurait du grabuge. Tu le regardes sévèrement.

Néanmoins, tu approches lentement ta main, présentant le dos. Tu demandes l'autorisation de le toucher par le regard. Tu poses alors doucement ta main sur l'extrémité de son pelage, presque par effleurement.
Tu concentres l'énergie dans ta paume pour le soigner. Cela dure quelques instants. Tu l'observes comme un médecin avec un patient. Tu lâches de nouveau un souffle ceci fait, tu retires tranquillement ta main.

Tu glisses tes yeux sur la commode que tu fouillais auparavant. Tu te relèves calmement.

- Je cherche des informations. Tu devrais partir avant que quelqu'un ne te sente. Je te dirai si je trouve quoi que ce soit.

Tu pensais connaître assez bien ton versus pour savoir qu'il ne partirait pas sans une réponse
à sa question. Sa curiosité était légitime, tu ne venais quasiment jamais par ici d'habitude.

Putain de-

T'aurais dû le savoir mieux que quiconque. Vous n'étiez pas fait pour rester sagement sur place, lui encore moins que n'importe qui. Vous bravez à chaque fois le danger comme s'il s'agissait d'un nouveau défi, d'une nouvelle danse ; d'un nouveau récif. Tu te sens con quand tu vois le démon filer à l'étage, et ton échine se glace à l'image des représentants des Eagles le repérant immédiatement. C'est elle qui te fit te secouer et monter le plus silencieusement possible pour ne pas attirer leur attention où elle ne devrait pas être. Il ne semblait pas y avoir de remous dans la salle de réunion pour l'instant. C'est un bref répit.

Tu le sens derrière la porte du bureau de ton père. Comment...
Ah oui, transmutation. Mais télépathe ? Ce n'était pas un archange.
C'est si dur pour toi de concevoir que vous puissiez être à ce point sur la même longueur d'onde, Luke ?

Tu le sens s'agiter un peu à l'intérieur mais rien ne te dit ce qu'il compte faire. Tu sais que la porte est toujours verrouillée par contre.
Tu te dis que si jamais il se faisait repérer, il pourrait toujours s'envoler par la fenêtre à tire-d'aile. Ça te décrispe un instant les épaules.
Tu retournes en bas pour trouver cette maudite clef. Il te foutait un coup de stress pour rien, ça t'agaçait. Tu espéras qu'il ne laisserait pas trop de traces là-dedans, sinon ça allait être dur à justifier auprès de ta mère si jamais elle les percevait.

Tu retournes sur le meuble que tu investiguais avant qu'un démon ne te perturbe. Tu écoutais attentivement les bruits de la salle des Eagles en même temps, avec quelque chose ressemblant à de l'inquiétude quelque part.

[Lancer de dé]

Par chance, tes doigts la trouvèrent enfin ; elle était coincée dans un coin profond du tiroir. Tu te dépêchas à l'étage pour déverrouiller le fameux bureau. La sueur dans ta nuque était légèrement froide.

Tu déverrouilles la porte et ton regard tombe sur ton versus. Tes pupilles dégrossissent légèrement du stress.

Et c'est à ce moment-là que tu connectes que tu es dans le bureau de ton père. Mentalement.
C'était ici que tu voulais aller de toute manière. Mais toute ta préparation mentale avait été plaquée au sol comme un château de cartes par Elijah. Tu te figeas sur place, un peu sonné. Tu clignas des yeux et te repris relativement vite étant donné ce qui essaie de monter en toi. It struggles.

Tu entras et fermas derrière toi avec cette même clef que tu avais galéré à retrouver. Si jamais, ça vous donnerait peut-être un délai.
Mais tu pris ton temps dans ce geste. Le temps de couper visuellement le lieu où tu venais en courant chercher ton père pour qu'il sorte son nez de ses paperasses, les baskets pleines de la boue du jardin. Le temps de souffler, de respirer la poussière ambiante en essayant d'oublier qu'autrefois tu pouvais sentir sa présence se mêler à l'odeur des livres. Le temps d'enfouir, ou du moins essayer, la plaie béante qui pulsait dans ta glace. Tu fermas les yeux.

On dit que le temps cicatrice les plaies. Que l'oubli est la clef.

Quelle belle arnaque.
Tu ne voulais pas oublier. Tu ne pouvais pas oublier. Les gens n'étaient pas de vulgaires noms qu'on efface d'une ardoise quand ils ne sont plus. Ils font partie de soi.
Et tu as beau être un ange, ça titille tes vieux démons. Ce désir que quelqu'un paye pour avoir effacé Walter Richardson de l'ardoise du monde. Tu voulais détruire cette personne.

Mais tu enfouis, tu enfouis tout ça.
Ce n'était plus une personne qui était en question, mais un système entier. Tu pris une inspiration et rouvris les yeux. Tu avais la gorge nouée.

Tu te tournas vers Elijah. Tu avais le visage vidé d'émotions de ceux qui cachent un peu trop en eux leurs tensions internes.

Ton échine était tendue, mais plus pour les mêmes raisons. Tu aurais préféré qu'il ne fasse pas ça. Mais tu savais que les chats, et Elijah, n'en faisaient qu'à leur tête. Ton œillade l'accuse néanmoins un lourd instant.

Mais vous avez maintenant un temps limité, alors tu finis par passer à ce pourquoi tu étais venu ici.

Tu contournes le bureau pour te trouver face à ses tiroirs. Tu allais commencer à fouiller quand Elijah posa une question. Tu levas les yeux.
Les livres d'histoire et de géographie de ton père. Des collections limitées.
Mais il n'était plus là pour les lire.
Tu marquas une pause.

Tu haussas vaguement les épaules en signe d'accord, te concentrant plutôt sur le bureau... Et esquivant du regard la photo de famille.

- Fais juste attention à ne pas l'abîmer.

C'était une situation vraiment étrange, lui et toi dans le bureau de ton père. Avec la salle de réunion des Eagles juste en dessous. Votre duo en lui-même était étrange. Les parfaits opposés ; les parfaits complémentaires aussi. Est-ce que votre lien de versus était la seule cause de tout ça ? Ou est-ce que ça allait plus loin que ça ?

Tu soulèves délicatement les dossiers soigneusement rangés mais pour l'instant tu ne trouves pas ce que tu cherches.
Tu t'es souvenu que ton père écrivait régulièrement des lettres et qu'il gardait ses correspondances quelque part. Et tu pensas que c'était idiot que tu n'aies pas pensé avant à fouiller dedans. Ou peut-être pas si idiot, étant donné que tu as fui autant que tu pouvais la maison familiale qui puait plus que n'importe quel autre endroit son absence, le vide fracturé qu'il a laissé derrière lui. Ça te prenait aux tripes d'être ici, dans cette pièce, plus que n'importe où dans cette bâtisse.

Tout en continuant de chercher, tu prends une échappatoire à tes souffrances peu habituelle pour quelqu'un d'aussi anti-social que toi.
Tu parles, sans lever ton regard perçant.

- Pourquoi est-ce que tu étais blessé ?

Et pourquoi est-ce que tu te trouvais dans cette cheminée, parmi tant d'autres ?
Ta voix était calme, bien trop par rapport à la peine qui résonnait derrière ton sternum. Tu ne voulais pas oublier ton père. Mais tu voulais oublier qu'il n'était plus ici à tes côtés. Si tu n'avais pas une meilleure maîtrise de toi-même, tu serais en train de t'agripper le pull au niveau du cœur pour essayer d'arrêter la douleur.
En dehors de ça, tu voulais sincèrement savoir ce qu'il était arrivé à Elijah. Et il te devait au moins une explication.

Mais d'explications il ne donne pas. Une suggestion sous l'habit d'une interrogation. Tu lèves les yeux pour le fixer.
Tu savais à son expression qu'il ne comptait pas parler de lui-même.
Tu as un mouvement de recul interne quand il se place en face. Mais tu ne fuis pas. Tu ne voulais pas qu'il sente ce qui hurlait en toi. Mais ses émeraudes perçaient en toi comme un phare au cœur de la tempête. Tu avais figé tes mains.

Tu détestes ce sentiment de vulnérabilité.

Et le démon lance un écho. Deux mots.
Deux mots qui fissurent la glace dans un craquement térébrant.

Ce qui sort de cette fissure te sonne la tête et trouble ton regard rougissant.
La créature qui grandissait derrière ton visage si stoïque d'habitude se fraie un chemin dans ta cage thoracique, à coups de serres et de morsures froides. Tirant sur les parois déjà abîmées, criant pour qu'on la libère, pour qu'on la détruise. Ce monstre de douleur voulait s'échapper quitte à tout exploser sur son passage.
Tes cheveux blonds se hérissent, car tu essaies de la contenir, de la ravaler ; de nouveau, de l'enfouir.

Mais le regard de ton opposé te coinçait dans ta fuite envers toi-même.

Tu ne bougeais pas, mais l'air autour de toi semblait vibrer sous la violence de ce combat interne. Tu es silencieux pendant tout son déroulement. Tes azurs s'étaient électrifiés comme pour empêcher quoi que ce soit de sortir de toi. Mais tu sentis un sillon amer se creuser sur la peau tendue de ton visage. Un concentré de tout ce qui se déchaînait en toi. Et à ce moment-là, cette sensation fit trembler quelque chose en toi. Tu te rendis compte qu'il s'agissait de ton corps. Est-ce qu'il voulait exploser, lui aussi ?

Pas une seule fois tu ne détournes ton regard du sien. Tu le laisses lire en toi, regarder ce qui se débat dans cette ouverture craquelée qui s'était faite en toi. Cet instant sembla s'inscrire dans une temporalité qui s'étalait sur une éternité. Une temporalité impossible pour vos mémoires limitées.

La larme qui roulait sur ta joue semblait figée dans le temps, elle aussi. Passe un instant où tu ne sais plus exactement qui tu es. Un ange, un fils en deuil, un amas de douleur... Autre chose ?
Et plus les secondes passent, plus tu as peur que ça s'aggrave. Alors pour la première fois, tu esquisses un geste, essuyant cette larme. La souffrance est moins brûlante mais elle continue de pulser dans tout ton être, dans tes yeux de grand brûlé. Les tremblements se calmaient petit à petit. Tu pris une inspiration. Un instant.

- Qui était-ce ?

Qui avais-tu perdu ?

Ta voix est éraillée comme si tu manquais de souffle ; comme si tu venais de courir à travers les siècles. Tu venais de fuir devant quelque chose de plus terrifiant que ta douleur ou la vulnérabilité qu'Elijah pouvait observer. Quelque chose de plus bouleversant encore que d'affronter tes tourments actuels.

Une part de toi savait que le moment était mal choisi pour les grandes révélations. Il n'était pas censé se retrouver ici et encourait de gros problèmes s'il se faisait prendre par les Eagles.
Tu avais seulement répondu à une impulsion dont tu pensais avoir perdu le sens. Dans la tempête, tu avais retrouvé un bout de ce qu'on appelle empathie.