cross elijah - i'm going feral

(1628) Sa première vie parmi le commun des mortels. Sa curiosité est si grande qu'elle le pousse à partir de zéro, devenant l'unique fils d'une petite famille de nobles français. Il apprend tout de leurs étranges rituels, de la profonde révérence jusqu'au baisemain ; ça devient utile pour gravir les échelons de la société, car les occasions se présentent vite, mais la plus grande restera à jamais la cérémonie de la reine Anne d'Autriche pour la naissance de son héritier, Louis XIV. Il perçoit la fragilité de la grande dame après les fausses couches de son long mariage, et quoi de plus réconfortant qu'avoir la promesse de la protection de son fils ? Une politesse, un simple toucher et elle signe le contrat. À l'occasion de la succession du roi qu'on dit miraculé, Anne le remercie chaleureusement de sa bénédiction en le présentant à la cour royale où la corruption est déjà présente. C'est dans les grandes sphères qu'arrivent les plus horribles trahisons, aussi il ne fut pas étonné de la présence d'autres démons. Ils courent après les mêmes âmes, les hostilités commencent. Le favoritisme de la reine lui donne toujours un coup d'avance, elle suscite l'admiration, l'indifférence ou la colère ; c'est la dernière qui l'arrache à sa première vie d'un coup de poignard bien placé, il n'aura même pas le temps d'en comprendre la vraie raison, juste de réaliser que ses âmes récupérées sont peu, très peu. Le retour aux enfers est violent, il est mâché et recraché par les autres démons pour sa faiblesse. Mais il revient sur terre quand même : c'est peu, mais assez.

(1704) Avec un goût amer dans la bouche, il commence sa deuxième vie. C'est un enfant sans histoire, mais le village le recueille sans trop poser de questions. Avec les autres orphelins, il profite de quelques années tranquilles sous le soleil africain avant que des inconnus les emmènent loin de chez eux, les poings et les chevilles liés. Alors que la caravane traverse le grand désert, les nuits commencent à se remplir de hurlements d'agonie et les plus désespérés acceptent sa main tendue, mais le temps lui manque pour toutes les récolter. Quand son tour vient, il ne peut s'empêcher de prier que ça se finisse vite, mais ils n'ont pas l'occasion de commencer la torture qu'un homme s'approche, l'allure altière et l'oeil intéressé. Il regarde la marchandise, l'inspecte du bout des doigts et choisit de l'emporter avec lui, dans son palais d'orient. Comme il a quelque chose qui gêne à l'entrecuisse, on l'habille de somptueuses parures pour cacher le tout avant de le donner au reste des concubines. À leurs côtés, il apprend la vie de harem où sa beauté devient un atout de taille, celui qui a retenu l'oeil du sultan et qui le retient toujours, alors que son jeune âge lui permit de ne pas être vu comme une menace pour ses femmes. À leur contraire, il est un simple trophée, protégé par de vieux écrits qui s'opposaient à certaines formes d'amour. Grâce à l'aide de celles qui l'ont pris sous leur aile, il réussit à glisser quelques promesses à l'oreille de l'homme qui s'empresse de sceller le pacte, sans réaliser qu'il y scelle aussi le destin de l'empire ; maudits jusqu'au dernier, les sultans finiront aux enfers et la monarchie ottoman chutera. C'est à l'occasion d'une invasion rebelle qu'il profite du chaos pour s'emparer de l'épée de l'eunuque qui les garde, mettant fin à sa deuxième vie. Son retour aux enfers n'est pas plus doux que le premier, mais son exploit lui accorde quelques louanges et une troisième chance.

(1730) Les humiliations répétées font naître les premières étincelles d'une rage qui aujourd'hui, s'est métamorphosé en véritable brasier. Sa troisième vie, il la dédie à la récolte d'âmes et pour ça, il choisit la Russie. Dès que ses petites mains en furent capables, il se mit à manipuler la matière pour apprendre à en faire des œuvres toujours plus sophistiquées au fil des années, les revendant aux plus offrants - ceux qui n'hésitent à soutenir qu'ils céderaient leurs âmes pour les posséder. Une petite fortune amassée, il fait ses bagages et s'installe dans une autre contrée, fuyant l'attention qu'il pourrait recevoir à la suite de ses nombreux contrats. La famille a laissé partir leur unique fille, mais ils ne le regretteront pas. Désormais obsédé par sa montée en puissance, il oublie que sa vie précédente l'a rendu curieux et qu'il a choisi d'être une femme pour celle-ci. Alors qu'il s'intéresse à d'autres domaines pour agrandir son terrain de chasse, il retient l'attention d'une amoureuse de l'art : l'impératrice de Russie, Marie Feodorovna qui deviendra son plus grand soutien. En lui faisant l'honneur d'exhiber quelques unes de ses pièces dans les grands palais à sa charge, elle recolle quelques morceaux de son estime qu'on piétine depuis si longtemps. Ça adoucit l'amertume qu'il porte dans son coeur, ces dernières années lui donnent une impression d'accomplissement et pour une touche finale, après que la ferme dans laquelle il s'est retiré fut entièrement restaurée, il lègue le reste de sa fortune à sa famille d’artisans pour les remercier du savoir qu'ils lui ont légués. C'est lors d'une nuit paisible à contempler sa vie jusqu'ici que la vieillesse l'emporte, et cette fois, il est prêt à retourner aux enfers.

(1803) Sa quatrième vie, il ne l’oubliera jamais. Sous l'apparence d'une petite fille à la beauté froide, il est né dans la noblesse japonaise. C'est durant l'ère Bunka qu'il grandit, s'habituant dès le jeune âge à fréquenter la cour impériale comme beaucoup d'autres enfants de grandes familles. On lui réapprend les arts et s'il est naturellement doué, c'est à sa vie de harem qu'il le doit. Ses prouesses attirent l'attention dont celle de quelques démons parmi les autres clans, mais surtout celle d'un membre de la cour : Ayahito, le futur empereur du Japon. Sa famille le pousse vers lui, il sait déjà ce qui l'attend et ça ne lui fait pas peur. Après des années à s'attirer les faveurs de l'homme, il en devient la concubine et ne peut pas être plus triomphant en voyant la jalousie de quelques démons à la poursuite de l'âme de l'empereur. Le contrat est scellé lors d'une nuit de service, il se dit que c'est plus facile qu'avec le sultan encore, mais l'un de ces nombreux lendemains, quelque chose ne va pas. C'est impossible, il se répète, ça n'est pas ça. Son ventre de plus en plus rond lui prouve le contraire à chaque fois qu'il le regarde dans le miroir. Son désintérêt pour sa propre race lui revient en pleine face, il doit payer pour son ignorance. À la recherche de réponses, il se précipite chez les autres démons, seulement pour entendre une vérité qu'il connait déjà. Il porte un bâtard, l'enfant de l'empereur. Alors, plus que celle d'engendrer un monstre, c'est la peur de voir son enfant lui être arraché qui le prend. Les concubines n'ont aucun droit maternel, dès qu'il l'aura mis au monde, il ne sera plus le sien. Jour après jour, il se cache du mieux qu'il le peut et nuit après nuit, il caresse son ventre tout en s'imaginant mère, s'étonnant parfois d'en avoir le sourire. Quoiqu'il ne remplisse plus ses obligations de concubine, l'affection de l'empereur pour lui empêche celui-ci de prendre une décision et il croit avoir le temps de réfléchir à un plan, quand une nuit, il est réveillé par un cri étouffé. Et il en sent un là, tout près. Son sang ne fait qu'un tour, il court hors de sa chambre, hors du palais. Il sent la neige glaçant ses pieds nus, les branches accrochant ses parures alors qu'il s'enfonce dans la forêt, mais il n'est pas assez rapide. Le poids dans son ventre l'empêche de courir comme avant, changer de forme le terrifie des conséquences alors quand des gargouillis résonnent derrière lui, il ne peut qu'affronter le danger en faisant volte-face. Un autre démon l'a suivi pour essayer de s'échapper aussi, mais il n'a fait que le mener droit à eux, la poitrine transpercée de son spectre. Foutus humains, foutus démons, foutus anges. Il maudit le monde tout entier à l'arrivée de l'archange. C'est le désespoir qui l'anime quand il se jette sur l'autre démon pour lui arracher l'arme de la poitrine. L'adrénaline rend ses brûlures indolores, il n'y a que la chaleur du sang maquillant son visage, l'essence démoniaque se fondant dans la sienne et le nouveau feu crépitant dans ses entrailles. L'archange tente d'en finir avec lui, mais il se fait surprendre par l'arme qui se matérialise devant lui, s'enroule autour de son cou et manque de lui faire sauter la tête. La rafale de feu, elle, ne la manque pas. Tandis que l'archange agonise à terre, il disparaît dans la forêt, abandonnant l'occasion de l'achever pour les mettre à l'abri, lui et son bébé. La scène incrustée dans la neige alimentera de nombreuses légendes, mais il ne le saura jamais. Réfugié chez une vieille femme, il commence sa descente à ses propres enfers. Le combat lui provoque une fausse couche tardive, lui prenant l'âme et presque la vie. Les mois qui la succèdent, il les passe à errer sans but, comme un fantôme qui hanterait les lieux de sa mort et sans doute que cette métaphore n'est pas si éloignée de la réalité, parce qu'il faut bien mourir avant de se sentir revivre. Cette renaissance arrive quand il retourne au palais impérial à la recherche d'un espoir, d'un réconfort après une tentative de suicide. S'il n'avait jamais aimé l’empereur, il ne l'avait jamais non plus détesté... Jusqu'ici, du moins. Lorsqu'il le voit avec sa nouvelle favorite au bras, c'est la haine pure qui s'empare de lui.


La raison dévorée par l'envie de vengeance, il devient l'origine des grands incendies de l'ère Bunsei, Tenpō, Kōka, Kaei et Ansei, prenant la vie de centaines de milliers, réduisant en cendres des villes, maisons, temples et sanctuaires. C'est le choléra qui réussit à l'arrêter dans sa destruction, emplissant ses dernières heures d'énièmes souffrances punitives, comme si elles allaient l'expier de ses péchés. Quelle pensée naïve.

(1860) Il prend la forme d'un homme d'une vingtaine d'années dans sa cinquième vie, la leçon a été retenue. Mais il ne la garde pas bien longtemps et finalement, en change tout au long, passant du chat à l'étalon pour toujours aller plus vite, toujours plus loin. À l'aube de ses jours, il se lance dans une deuxième série de carnages : Chicago prend feu à son passage, la ville dans laquelle il a décidé de commencer sa course aux brûlés vifs, et le blâme revient à une pauvre famille paysanne. Il fuit à Peshtigo, Holland puis Manistee qui s'enflamment à leur tour, répandant leur mal jusqu'aux villages d'à côté, si bien parfois qu'ils s'en font rayer de la carte. Voir le monde à feu et à sang lui plaît, la soif de vengeance se transforme petit à petit en admiration pour l'anarchie et la frontière entre anges, humains et démons devient plus floue encore, jusqu'à finir par disparaître quand il se laisse aller à la colère. Ses violences s'enchaînent, c'est trop tard pour se faire oublier maintenant qu'il a des anges à sa poursuite, déjà sur ses traces depuis les incendies. Il court à perte haleine, l'adrénaline dans ses veines, n'ayant plus peur de la chute maintenant qu'il s'est senti pousser des ailes. Le jeu dure encore de longues années, il aimera l'impression de liberté que la vie sur la route lui donne jusqu'à la toute fin, au bas d'une falaise. Hors de question de laisser son essence aux petits merdeux de l'autre illuminé.

(1911) L'Équateur devient le berceau de sa sixième vie, celle où il retrouve un semblant d'équilibre, parvenant à stopper petit à petit le souffle qui n'a cessé d'alimenter son feu intérieur. Il doit se faire oublier après les catastrophes qu'il a engendré, alors il se rapproche de la mer, là où personne ne penserait à chercher un élémentaire comme lui. Le père de famille est gardien de phare et c'est lui qui prend la suite, lorsqu'il est âgé d'une petite vingtaine d'années. Il n'a jamais tissé de vrais liens avec eux, pourtant ça ne les empêche pas de l'aimer comme l'un des leurs ; les humains sont d'étranges créatures. L'isolation qu'impose le métier est difficile pendant les premiers mois, mais il finit par trouver un rythme dans son quotidien. Les âmes des touristes qui passent par le monument sont facile à soutirer, après tout, il est celui qui en détient les clés. Parfois, ses vies antérieures défilent devant ses yeux et il se surprend à acheter le journal pour savoir ce qu'adviennent les contrées où il s'est réincarné. Au final, c'est un moyen comme un autre de garder le contact avec l'extérieur. C'est lors de l'un de ces jours qu'il passe à rêvasser qu'il reçoit la visite de son père dont l'âge se fait sentir dans chaque mouvement qu'il fait. Il le supplie de raisonner son frère participant à une grève sur son lieu de travail. Lui grogne, crache, vocifère qu'il aille au diable. Mais les larmes du vieil homme pour son fils qu'il croit déjà mort finirent par le toucher, c'est en ronchonnant qu'il quitte le phare et rejoint son frère dans l'après-midi. Son frère qui ne veut pas bouger malgré la menace de la police. Quand les bombes lacrymogènes commencent à être lancer, c'est déjà trop tard. Il ne voit pas la balle lui arriver en pleine tête, ni que son frère réchappe au massacre grâce à la barrière que lui fait son corps. Il espère juste que le vieux s'en veut pas trop.

(1977) Il choisit une famille de fermiers, perdue dans les contrées désertiques du Nevada, pour l'accueillir dans une septième vie. Ça paraît inutile de recommencer à zéro, mais ça facilite la tâche quand on sait que les humains adorent les papiers et les demandent pour tout et n'importe quoi. Le quotidien des agriculteurs lui donne une belle silhouette qu'il forge davantage avec d'autres travaux, il prend goût à la bonne forme et surtout, à l'effort sous toutes les formes. À l'adolescence, il pense toujours qu'il la passera le nez dans les cours à domicile que ses parents lui donnent, mais le retour de ses vieux ennemis met fin à un début d'ennui. Les voyageurs sont rares ici, alors il ne réfléchit pas plus et entame le combat dès qu'ils parviennent jusqu'à lui, les seuls témoins n'étant rien de plus que des animaux effrayés par la soudaine agressivité de leur berger. Dévorant essence après essence, il embrasse sa nouvelle puissance comme ultime liberté, rejette l'autorité qu'elle soit humaine, angélique ou démoniaque et profite des années qui lui restent ici pour s'essayer à tout : alcool, drogue, coloration, piercing, tatouage, moto et bien d'autres fantaisies qu'il ne pourra jamais entièrement réciter. À son retour aux enfers, il ne passe plus inaperçu et le regard de la haute sphère commence à peser sur lui, mais qu'il peut s'en ficher ; il est Lilith, la rébellion à l'état primaire.

(2002) Au commencement de sa huitième vie, il sait déjà que son peu de patience ne lui permettra pas d'attendre la majorité avant de partir sur les traces de ses prochaines cibles. S'il reste docile jusqu'à temps qu'il devienne capable de se débrouiller par lui-même, une fois qu'il a bien entamé son adolescence, il n'hésite pas à fuguer de la maison familiale pendant la nuit. C'est difficile, les premières années, de retrouver pied quand on part de presque rien. Il enchaîne les boulots qu'il arrive à dégoter, souvent malfamés, pour se constituer une petite réserve d'argent et continuer à se teindre les cheveux, malgré tout, parce qu'il se trouve bien comme ça. Il n'a pas changé depuis la dernière fois, ses cheveux sont toujours aussi noirs, ses yeux toujours aussi verts, sa peau toujours aussi mouchetée. D'ailleurs, ça faisait un peu tâche sur la photo de famille, mais c'était le dernier de ses problèmes. Sa nature de démon le rattrape vite, trop vite ; une nature qu'il n'a jamais oublié et ce n'est pas les quelques envoyés qu'il taillade sur le chemin qui le lui permettront. Le Canada devient son plan de fuite quand la situation devient ingérable, à croire qu'il n'y a pas qu'aux enfers que son nom a été retenu, et c'est à Thunder Bay qu'il vient s'installer.

(2020) Parfois, il regrette cette décision. Pas à cause des anges, démons et maudits pullulant dans les rues plus qu'en Arizona, mais à cause des putains d'hivers où la température devient négative.