On est mardi en fin d'après-midi. Et on fait quoi ces jours-là ?
Chez Coco, on se goinfre. Elle avait réussi à soutirer de l'argent auprès de ses colocataires chéries pour acheter DES DONUTS PAR MILLIERS !! À partager entre elles trois bien évidemment. Ce qui ne l'empêchait pas de s'en enfiler sur le trajet. Il y en avait de tous les goûts et toutes les couleurs...

C'est que les mardis, c'était moitié prix. Forcément, les gens se ruent chez Robin's Donut à cette période de la semaine... C'est pourquoi Coco s'arrange toujours pour quitter les cours en avance ! Une fois c'est prétendument le dentiste, une autre un appel urgent... Toutes les excuses sont bonnes pour arriver dans la file d'attente du shop. De toute façon c'est sa dernière année de lycée et elle les emmerde toustes. C'est pas comme si elle comptait faire autre chose que cuistot de haute volée après ce truc. Graou.

Alors la démone avalait avec un bonheur constant le mélange de gras et de sucre qui tout en ravissant ses papilles et son cerveau, ne manquerait pas de se transformer en réserves face au froid canadien.

C'était chill à Current River, ces quelques minutes avant les horaires de pointe. Un gamin qui tenait la main de son parent pointa Baba et ses donuts en bavant presque d'envie. Son parent l'ignora, mais pas Baba.

Elle sortit un nouveau donut. Elle regarda le bambin dans les yeux.
Le PLAISIR qu'elle eut à planter ses dents dans le fruit défendu tandis que tout espoir quittait les yeux du môme. AHAAAAAAA ! T'as qu'à être grand. GAMIN .
Gamin qui s'éloigna entraîné par son parent, la moue triste au bord des larmes mais en rebaissant la tête en cherchant du réconfort dans le béton gris de la ville.

Satisfaite de son sale coup et du délice de son palais, Baba mâchait consciencieusement sa bouchée.

C'est alors que le karma frappa. Elle manqua de s'étouffer quand elle perçut un truc plus loin.
Non.... Elle avait mal vu ? Si ? Lui ? Cette aura...
Oh putain la rafale de souvenirs qu'elle se prenait dans la gueule. Mais le temps d'éviter de crever comme une enflure, il avait déjà disparu dans une rue. PUTAIN ATTEND !! Il fallait qu'elle vérifie... Elle se frappa la poitrine comme un gorille pour recracher le morceau qui était parti de travers. Puis Baba courut.

En fait dans sa hâte, elle lâcha même son sac de donuts qui vint s'écraser par terre. Elle avait de la chance : tous les feux étaient au vert. Elle arriva dans la rue, essoufflée parce que putain les efforts physiques en dehors de la cuisine c'était pas sa tasse. Elle se mit les mains sur les genoux pour retrouver une allure potable et sa respiration, puis se redressa en bombant fièrement le torse, bien plantée sur ses jambes tandis que son index pointait droit devant lui sa cible qui lui faisait dos plus loin :

- CA FAISAIT UN BAIL, ROI SINGE !!

Son regard scintillait de détermination tout comme le sucre qui était étalé au coin de sa bouche et sur son menton, bouche étirée en un léger sourire insolent.

Cette aura, c'était la sienne. Cette faim qu'elle sentait... Elle était sûre ! Oui !
Il y avait aussi une dureté qui cachait une crainte dans ses yeux... Par Satan, s'il a OSÉ l'oublier, elle lui DÉFONCE la gueule à coups de poêle.

QUI IL APPELLE MÉMÉ ???? Elle va le fumer et on va voir si c'est une mémé !!! Mais pas le temps de faussement s'insurger.

Soudainement, la petite démone d'un mètre soixante regrette presque d'être apparue comme ça quand elle voit la montagne de muscles foncer vers elle, faisant défiler ses vies devant ses yeux. Sitôt retrouvé et sitôt écrabouillée vive, la vie est d'un cruel !!
Bien sûr, toutes ces pensées n'étaient que des excuses, de vulgaires remparts face à la violente montée d'émotions qu'elle commençait à sentir malgré elle. La première était un soulagement d'une intensité sans pareille.

Il se souvenait d'elle.

Il n'avait pas oublié.

Il était là.

Iels étaient là.

Et comme si ça ne faisait pas quatre siècles qu'iels ne s'étaient plus vus, les revoici de nouveau dans la même étreinte sur laquelle iels s'étaient quittës. Pas exactement la même en réalité. Mais les larmes y étaient. PUTAIN MAIS IL VA LA FAIRE PLEURER À PLEURER COMME ÇA ! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Et la démone cède, elle chiale quelques larmes. En se mordant les lèvres pour que ça ne fasse aucun bruit. Putain de con.

Son essence démoniaque a envie de hurler contre celle de l'archange et de la griffer mais la concernée s'en bat la race. Pour une fois, elle envoyait chier cet univers où tout le monde veut se faire la guerre. Qu'iels aillent toustes se faire foutre, Satan et Dieu compris. Baba ravale ses larmes mais son nez pris la trahit et elle renifle.
C'est en chinois qu'elle parle.

- R-rúguǒ nǐ wàngle wǒ, wǒ huì dǎ nǐ...   (J-je t'aurais frappé si tu m'avais oubliée...)

Un bref rire souffle dans sa gorge. Ses doigts étaient agrippés au pul de son vieil ami, le seul de sa race.
Elle pose son front contre lui, elle marque une pause.

- ... Vraiment content de te revoir, Suen. Gorge serrée.

Baba était rarement aussi sincère sur ses émotions profondes.

Ses mots la font trembler. D'abord en chinois. Puis ce russe qu'elle n'attendait pas. Sa douceur balaye la poigne qu'elle mettait sur ses émotions. Les larmes coulent toujours plus nombreuses et elle sanglote. Elle se colle contre lui.

Il lui avait manqué. Il s'était passé tellement de choses depuis la dernière fois... Lui était passé archange, de son côté aussi il avait dû se passer des choses... Elle ferma les yeux pour éjecter les larmes mais elles continuaient de rappliquer. PUTAIN !
Elle avait du mal à lâcher prise. Elle se laissait trop aller. Ça pouvait la tuer. Pourtant, elle resta là.

Elle se mordit la lèvre et releva son visage rond. Elle prit un air boudeur pour la forme.

- On a des choses à se raconter il me semble.

Elle s'essuya les joues avec les manches de son sweat. Son regard glissa sur le côté en sentant ses traits s'adoucir malgré elle.

- On... se fait ça autour d'un plat ? Elle repose ses yeux sur le géant.

Tant pis pour ses colocs. De toute façon, elles ne comprendraient pas. Que personne ne vienne lui casser les boules aujourd'hui. Suen était un quelqu'un spécial. Elle voulait lui cuisiner un plat. Le plat des retrouvailles.

Sa demande la perturbe. Elle a le réflexe mental de "J'suis pas une môme je sais m'essuyer la gueule quand je chiale ok ?" avec les sourcils un peu froncés. Puis c'était bizarre d'essuyer les larmes de quelqu'un ??

Mais elle le laissa faire. Elle était trop contente de le retrouver pour passer immédiatement en mode grognon. Puis le compliment avec lequel il enchaîne a tout pour la charmer. En voilà un qui connaît les bonnes références ~
Ce qui ne l'empêche pas de rougir sous l'émotion. Parce qu'elle savait que la mémoire chez les anges c'était pas tout ça. Et lui s'est non seulement souvenu d'elle mais aussi de ses plats. Comment tu ne veux pas être diablement touché par ça ? Putain par sa faute elle ressent un trop plein de choses là fais chier. Connard. Pensé avec beaucoup d'affection.

Elle louche sur le ventre tonitruant puis éclate de rire. Elle met une tape familière dessus :

- Toi aussi tu m'as manqué, la bidoche à Suen !

Et elle attrape la main du géant, observant son visage plutôt que son essence cette fois.

- Tu vas potentiellement croiser mes colocs et amies, ça te va quand même ? Elles sont comme moi. , dit-elle. Démones quoi.

Enfin, avant ça, va falloir faire des courses. Parce qu'autant le frigo de l'appartement est plein, autant elle sait que ça ne suffira absolument pas pour son morfale préféré. Sa gourmandise lui avait manqué.

Elle caresse un peu avec son pouce.