Pain
Que quelqu'un m'entende

« Maman ? »

Tu craignais tellement le noir quand tu étais enfant. Tu te cachais sous ta couette, n’osant même pas trembler, n’osant même pas respirer, le regard braqué sur la porte. Tu attendais qu’elle arrive. Ta mère, cette lumière. Tu attendais qu’elle franchisse le palier de ta chambre avec un grand sourire, et qu’elle murmure : « Tout va bien ma puce, il n’y a personne. Tu veux que je reste avec toi ? » Elle t’aidait tout le temps, quand ça n’allait pas. Elle était là, réellement là. C’était encore différent de ton père : ce n’était pas grave d’avoir ses moments de faiblesse, ce n’était pas grave d’avoir envie de pleurer, ou de ressentir tout simplement des émotions. Ce n’était pas grave d’avoir peur, ce n’était pas grave de ne pas avoir envie, et c’était bien d’être soi-même en public. Ta mère t’aimait, plus que tout. Mais elle était d’une faiblesse qui te donne presque envie de gerber. Ce n’est pas pour rien qu’elle est morte.

« Mais où te caches-tu ? »

Vous jouiez souvent à Cache-cache. Oui, c’était un jeu. Elle était super douée d’ailleurs, c’est elle qui t’avait tout appris. Te dissimuler. C’est grâce à elle si, aujourd’hui, personne ne peut briser ta carapace : tu pourrais être debout, devant une assemblée, personne ne te remarquerait. Il ne verrait qu’une enveloppe corporelle du nom de Lysandre. A quel point auraient-ils peur s’ils te voyaient telle que tu es ? A quel point aurait-elle peur si elle voyait ce qu’est devenu sa fille ? Elle qui t’enseignait la sensibilité artistique, l’humour, les larmes. Elle pleurait devant les comédies romantiques. Elle essayait de le cacher en attrapant ton visage et en le cachant dans ses longs vêtements qui sentaient bon… mais elle était une piètre menteuse, ta pauvre mère. Et elle était piètre dans bien des domaines. Mais elle t’aimait.

« Maman, réponds-moi… »

Elle aurait pu ne pas mourir, si elle avait été plus forte. Si elle ne s’était pas laissé aller à cette maladie. Lorsqu’elle est tombée malade, elle t’a avoué qu’elle avait découvert quelque chose, quelque chose de terrible. Quelque chose de sombre, qu’elle ne pouvait pas assumer. Quelque chose contre lequel elle allait se battre, elle l’a même juré sur sa vie de mère. Elle t’a confié que si elle venait à mourir, c’était à cause de cette horreur, et que tu allais devoir te méfier.

Mais ce monstre n’est jamais venu à toi. Les dernières paroles d’une femme mourante, délirante. Elle a tenté de te donner quelques pièces du puzzle, mais tu as fermé les yeux dessus. Tu as préféré écouter le monstre en question, sans même le savoir. Tu t’es mise à haïr cette mère qui ne répondait plus à tes appels, l’accusant de toutes ce que tu as pu vivre de plus horrible. Si elle n’était pas morte, tout aurait pu être différente. Tu aurais pu continuer de rire comme sur cette photo que tu caches dans ta salle de bain, elle t’aurait prise dans ses bras, une fois de plus.

"Maman. Maman, tu me manques. Maman, tu es ma faiblesse, alors merci d’être morte. Merci de t’être laissé emporter par ce monstre que tu craignais tant, parce que je n’aurais pas réussi à être celle que je suis aujourd’hui sans cela. J’aurais continué à être cette enfant faible qui pleurait parce que les p’tits pois sont trop cuits (C’EST P’T’ÊTRE PARCE QUE CE SONT DES LENTILLES CONNARD). Je n’ai jamais aimé les p’tits pois de toute façon. C’est dingue, à chaque fois que je t’écris, je dis n’importe quoi… Tu savais bien le faire, tout ça. Offrir à chaque personne que tu croisais sa petite graine de folie, tu étais un soleil maman. Rayonnante. Ça fait trop longtemps que l’ellipse dure. Reviens, s’il te plait. Tu me manques maman, c'est un appel au secours. J'aimerais pouvoir dire tout ça à voix haute, j'aimerais pouvoir ressentir toutes ces émotions aussi forts que je le veux, que tu le voudrais. Mais je suis juste capable de les écrire, puis de brûler ce bout de papier en priant pour que le manque rejoigne les cendres et s'envolent au gré du vent.  Je n'y arrive plus maman. A ressentir. Je n'arrive plus à m'accrocher à ce manque. Je ne veux plus vivre, maman. Après avoir accompli cette mission, je te promets de mettre fin à tes souffrances. Tu n'auras plus à craindre que je continue de chuter, maman. Moi aussi, je retournerai à l'état de cendres. Bientôt, je te le promets. Je chuterai une dernière fois, et tu n'entendras plus parler de moi, mon étoile. "

Toutes ces émotions. Elles te font souffrir, elles sont comme un pieu qu'on te plante dans le coeur. Au fond, tu sais très bien qui est ce monstre. Monstre que tu n'oses même plus appeler parce qu'il te l'interdit. Derrière toi, une voix brise le silence tandis que la lettre part en fumée.

« Tout est prêt, ma fille. Tu peux attaquer. Ne me fais pas honte. »

Tu te retournes sur ta chaise et l'observes calmement. Aucun sourire n'étire tes lèvres. Tue. Tu te lèves, passes à côté de lui et craques tes doigts tout en t'étirant. Tu te pares de ce masque que tu portes en société : Lysandre. Un sourire étire tes lèvres, et tu lui réponds avec un petit rire :

« Ezequiel Curtis, à nous deux. »
Emme