Nobody •D'autres âmes
Piece of art
RattlesnakeWithout the rat
T'étais arrivé tôt dans l'après-midi. T'avais envoyé le message la veille. "Infos. Same place." Ça faisait un moment que tu n'avais pas contacté Madeleine. Ça faisait aussi un moment que tu n'avais pas récupéré d'informations que tu puisses utiliser auprès des Bones de sorte à nettoyer les rues de Thunder Bay des meurtriers, violeurs, drogueurs et tu en passais. T'étais personne pour juger mais, quitte à pouvoir te fondre dans les ombres, autant que ça permette à d'autres de vivre une vie non marquée par l'horreur. T'avais coincé le concepteur d'une drogue nouvelle sur le marché. Celle censée t'envoyer au septième ciel dès la première dose. Tout du moins, c'est ainsi qu'il l'avait vendue aux Bones, et par ce biais avait empoisonné une bonne partie de la clientèle chez les toxicos. Cette merde tuait au bout de la troisième prise. Ce n'était pas en arrêtant cet individu que tu arrêterais définitivement les trafics de drogues - parmi bien d'autres tout aussi crasseux -, mais il y avait une certaine urgence à arrêter la circulation de cette drogue. Tu savais de source sûre qu'il avait assuré une moyenne de mortalité de trois ans à partir de la première prise et qu'il avait fait payer assez cher la mafia canadienne... Bref, qu'il avait tout intérêt à se planquer pour avoir flouté les grands méchants loups. Sa planque, tu l'avais trouvée en fouinant et en grattant la crasse comme tu sais si bien le faire. C'est sans scrupules que tu allais le livrer aux Bones ; le gars avait trop bien effacé ses traces et possédait un casier judiciaire beaucoup trop propre pour que la police puisse y faire quoi que ce soit. Tu t'en étais assuré avant d'envoyer ton sms puis de jeter ta carte sim périmée, la cassant en deux. T'avais l'adresse de ses planques et les identités de ses quelques rares collaborateurs. Tu pénétras dans la galerie d'art, enfonçant l'air aux soupçons boisés de son entrée dans tes poumons. Les salles défilèrent lentement autour de toi alors que tu te mêlais aux quelques visiteurs de la semaine, contemplant les œuvres comme n'importe quel autre individu venu pour ça. La salle que tu visais se trouvait deux pièces plus loin. Tu ne le montrais pas à l'extérieur, mais tu restais sur tes gardes, écoutant attentivement ton environnement. Les mains dans les poches, tu te plaçais devant les œuvres, les observant vraiment - mais accordant une plus grande attention encore aux alentours. Vous aimiez bien aller au musée de temps en temps, Ren et toi, tu te souviens. Vous vous arrêtiez souvent devant les trésors de guerre en réfléchissant à ce qui avait vraiment changé aujourd'hui. On avait troqué les lames pour les balles, mais le désir d'autodestruction semblait toujours le même. Ren... Tu arrivas à la salle habituelle. Il y avait deux ou trois personnes déjà présentes. Tu te mis en face de ton tableau préféré, et t'assis précautionneusement sur le fauteuil mis à disposition, les mains dans les poches de ton sweat. Tu le contemplas. Tu n'arrivais toujours pas à déterminer si c'étaient les papillons qui formaient la fumée ou la fumée qui formait les papillons. Il y avait des petites taches de jaune granuleux pour rehausser les teintes oniriques de la toile. Il y avait un point. Toujours ce point, celui que tu ne pouvais manquer de voir au bout de quelques secondes. Ce petit cercle noir, au centre, qui t'absorbait inévitablement à chaque fois, comme un trou à l'âme. Et rien de concret à quoi se rattacher pour en sortir. Discrètement, tu avais enfoncé un petit bout de papier enroulé sur lui-même dans le creux du fauteuil entre tes cuisses, les mains cachées par ton ample sweat. Tu ne savais pas si la Chevalière viendrait aujourd'hui ou demain récupérer ton message, mais tu avais fait ta part et c'était ce qui comptait. Tu décidas de rester encore quelques temps à la galerie, toujours assis pour l'instant. C'était rare que tu t'accordes ces petites respirations dans ta vie de rat à l'affût. |