The rat and the poet ☾ Brian

Jusqu’où la quête de frisson te poussera Brian ? Nan parce que sans vouloir t’offenser, même si je sais parfaitement qu’en aucun cas ça te vexera, tu es en train de te mettre dans une situation qui pourrait être délicate, dangereusement, voir mortelle. Mais tu as foncé la tête baissée dès que tu l’as aperçu, et que ton cerveau t’a envoyé cette légère dose d’adrénaline que tu ressens lorsque quelque chose d’étrange se déroule devant tes yeux, et que tu as cet irrépressible besoin de savoir. Ce n’est définitivement pas pour rien que tu es journaliste. Ça te correspond mieux que tu sembles toi-même le penser.

En vrai, je trouvais déjà bizarre que tu viennes trainer dans cet endroit, parce que tu n’as un peu rien à y faire, mais là-dessus, ça fait longtemps que j’ai arrêté de chercher à comprendre… Mais prendre quelqu’un en filature comme ça… je ne t’en pensais pas capable… Tu essayes d’être le plus discret possible, gardant une distance raisonnable avec cette personne. Que fait-elle ici ? Ses mouvements sont précis, peut-être même trop. Brian, tu devrais vraiment arrêter de lae suivre, je ne déconne pas là.
Mais tu continues. Et cette branche que tu n’as pas vu finit par craquer sous tes semelles de chaussures, bruyamment, et tu t’arrêtes, tu te figes. Et comme si ce n’était pas suffisant, ton téléphone sonne. Nan mais c’est quoi cet enchainement du diable ? Tu le sors rapidement pour le faire taire et… il tombe hors des feuillages où tu es caché…

T’es foutu.

Tu bloques ta respiration, priant tous les dieux pour qu’iel ne t’ai pas vu, ou entendu. Mais tu as conscience que c’est littéralement impossible. Tu as cruellement manqué de discrétion, et de bien d’autres choses… Tu fusilles du regard ton téléphone, dans l’espoir que ça le fasse taire, même si tu doutes qu’il soit encore temps…

Et tes doutes sont complètement effacés lorsque ta jambe droite cède sous le coup de celui ou celle qui te pourchasse. En quelques secondes, tu es immobilisé, la gorge coincée sous son bras, la fraicheur de la lame contre ta gorge. En réalité, ce n’est pas la première fois que tu fais face à ce genre de situation, mais étonnamment, tu t’en sors à chaque fois.

Ce qui te perturbe bien plus encore que la menace de mort qui plane au-dessus de toi, c’est la voix de cette personne. Oui, tu n’as strictement aucun sens des priorités, c’est navrant. Tu retournes la totalité de ta mémoire pour tenter d’en trouver l’origine, balayant les rencontres que tu as pu faire dans le cadre du travail, les journaux télévisés, toutes ces vidéos que tu as pu regarder. Les informations défilent dans ton crâne, sous forme d’image. Tu les classes rapidement, les ranges dans ton palais mental. Bordel, ça prend du temps… Il finira par trouver, il le sait. Il finit toujours par trouver, son intelligence l’aide parfois. Généralement, c’est davantage un fardeau. Après, il ne peut pas s’aider de ses mains pour tout classer, alors c’est un petit peu plus long que d’habitude… « Rien du tout, je suis simplement curieux, tu avais l’air louche, alors je t’ai suivi. »

Tu relèves les yeux vers elle. Tu sais dorénavant que tu l’as croisé dans le cadre d’une rencontre associative, tu as éliminé absolument toutes les autres probabilités. Et silencieusement, tu continues de faire le tri pour trouver son identité à elle : « Pourquoi être autant sur ses gardes ? Vu le nombre de conneries que j’ai fait à la minute, tu ne te doutes bien que je ne suis pas dangereux. »

Ta respiration s’accélère légèrement. Tu n’es pas du genre à le montrer lorsque tu paniques. Mais là, il y a quelque chose de vraiment étrange. Quelque chose qui te dépasse, tu as un peu la même sensation que lorsqu’Evangéline est dans le coin… Iel est plus fort que toi : c’est indéniable. Et si ton instinct de survie te hurle de tout faire pour te dégager, de tout faire pour fuir aussi vite que tu le peux, ta curiosité morbide, elle, te dit de rester, d’enquêter, d’avoir des réponses. Tu as besoin d’avoir des réponses, sinon, tu reviendras en cet endroit inlassablement, et tu te referas la scène en boucle dans ton esprit jusqu’à en capter le sens le plus caché : « Effectivement, je ne le connais pas, mais je ne crois pas qu’oser me promener ici est un crime. »

Bordel, mais pourquoi as-tu dit ça ? Parfois, tu ne te comprends pas. Tu es raisonnable, Brian. Tu es quelqu’un qui a une capacité juste incroyable pour prendre sur toi. Alors pourquoi avoir répondu ça ? Enfin, la personne te lâche. Tu te retournes rapidement pour te faire un rapide portrait mental d’elle. Si la voix te disait déjà quelque chose… tu fronces les sourcils, l’air grave. Tu l’as déjà croisé, tu en es pratiquement certain. Mais où, et pourquoi ? Dans le cadre de ton métier, tu fais pas mal de rencontre, et ce tous les jours. « Excusez-moi, il me semble qu’on se connaît, no- »

Un grognement. Que tu pourrais reconnaitre entre mille : si ta spécialisation est les oiseaux, tu sais cependant poser des noms sur les bruits d’animaux. Tu te tends comme un arc en voyant la grosse masse brune au loin. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que cet animal ne vous remarque. T’es mort. Définitivement.

Et si ça se trouve, cette personne est un braconnier, et tu l'as vu dans les fichés de tes dossiers ? Non, tu pars trop loin. C’est la panique, tu ne sais plus penser correctement. Tu le pointes doucement du doigt, sans geste brusque. Tu murmures : « Grizzli… »

C’est fou. Tu connais les animaux. Tu sais comment réagir avec eux. Tu aurais largement pu en faire ton seul et unique métier. Mais aujourd’hui, tu es complètement à la ramasse. Tu penses honnêtement que si cet étrange être n’avait pas été là, tu serais resté droit comme un I à fixer la grosse masse brune. Comme si la nature allait t’épargner. Tu ne sais que trop bien que si, de temps à autre, tu lui donnes un petit coup de pouce, ce n’est pas pour autant qu’elle va se montrer clémente avec toi.

Tu te retrouves donc derrière cet arbre, avec ce parfait inconnu qui quelques minutes plus tôt te maltraitant très légèrement. Il semblerait qu’il ait conscience que si toi tu fais de la merde, il est danger aussi. Quoi que… C’est probablement toi que le grizzli prendrait en chasse. Il n’a en soit aucune raison de t’aider. Alors pourquoi fait-il ça ? Tu te vois mal lui demander maintenant. Ce n’est vraiment pas le moment, et même toi, tu réussis à en avoir conscience.

Tu acquiesces simplement pour lui faire comprendre que tu as compris le message, que tu te tiendras sage comme une image, et que tu ne te mettras pas à hurler comme une fillette si iel vient à te lâcher. Quoi que. Vu ce que tu viens de voir de votre côté de l’arbre, tu aurais peut-être de quoi. Encore une fois, tu fais tout de manière lente pour ne pas les affoler. Oui. Les. Ce n’est vraiment pas rare que les grizzlis se promènent à deux, et ça, tu aurais dû y penser avant. Il semblerait que madame cherche à rejoindre monsieur, et peut-être bien que vous êtes sur son trajet. Mais c’est vraiment juste une probabilité. Alors encore une fois, tu préviens ton nouvel allié (ouais, les liens se sont resserrés entre temps) en le pointant du doigt.

Un grizzli peut atteindre des pics de course de 55 km/h. Vous n’avez aucune chance si vous prenez la fuite. Vous pourriez grimper aux arbres, mais faut espérer ne pas être tomber sur les quelques spécimens qui pourraient avoir la motivation de vous y suivre, même si clairement, c’est la seule porte de sortie que tu vois. Alors tu pointes la cime de l’arbre contre lequel vous êtes posés pour lui proposer cette solution-là. Si vous le faites suffisamment discrètement, ça devrait aller. Parce que la rencontre est réellement inévitable.