TW mention alcool

Aegis

Un verre. Puis un deuxième. C’est rare que tu fasses de telle rechute Aloysius. Mais tu voulais faire taire tes pensées. Elles devenaient trop violentes. Et ce qui t’épuise là-dedans, qui te force à te resservir un verre, c’est que plus tu bois, plus ça empire. Tu n’oublies rien, bien au contraire, sa présence se fait d’autant plus pesante. Tu as le sentiment de sentir ses mains sur ta peau. Son souffle contre tes lèvres. Tu entends sa voix. Tout ça, ça te manque. Ses taquineries à la con. Le regard angoissé de vos collègues lorsqu’elle ose te vanner devant eux, alors même que tu n’hésites pas à les remettre bien à leur place s’ils font la même chose qu’elle. Ces verres que vous partagez. Ces balades. En bref, tu aimes ces moments que vous passez ensemble.

Toi, Aloysius. Toi, Aegis, jamais tu n’es tombé amoureux. Et tu ne veux pas rencontrer ce genre de futilité maintenant. C’est bien trop tôt, tu n’es pas prêt. Et pourtant, lorsque tu quittes cette bague sur laquelle trône un magnifique phoenix déployant ses ailes, tu te sens mal. Vide. Elle est importante à tes yeux. Cette bague. Et elle aussi. Et c’est ce qui te terrifie profondément. Pose des mots sur des maux. Sur tes sentiments. Tu ne veux pas. Tu ne veux pas tomber amoureux d’elle, mais tu as l’impression que c’est inévitable. Peut-être même que c’est déjà le cas. Tu ne sais pas. Tu ne sais plus. Si tu t’écoutais, tu fuirais. C’est bien qu’il y a quelque chose. Tu as toujours fui lorsque ça devenait trop sérieux. Quoi que enfaite, t’en sais rien, ce n’est encore jamais arrivé. Mais tu es pratiquement sûr que si ça avait été le cas, tu aurais fui. Parce que t’es un vagabond, que ton âme se doit d’être aussi libre que l’air, et que tu ne dois pas t’attacher de cette manière-là. Ce serait trop handicapant. Ou peut-être que ça pourrait t’aider ? Raaah pourquoi tu te poses toutes ces questions ?

Tu pousses un soupir. T’arrives même pas à être bourré. Ta vie est une succession d'échecs. Tu te lèves, saisis ton manteau et l’enfile d’une manière bien trop théâtrale. Tu sors de l’appartement. Marcher te fera du bien. Comme ça, au lieu de penser à elle à l’intérieur, tu le feras à l’extérieur, c’est bien mieux.

Tu l’aimes ? Non. Si ? Peut-être. Raah t’en sais rien. Et tu ne sais vraiment pas pourquoi tu te poses toutes ces questions, ce n’est vraiment pas ton genre habituellement. Tu laisses couler. Mais là, ça devient impossible. Elle est toujours dans tes pensées. Suffisamment pour que tu finisses par te rendre compte que le chemin que tu prends naturellement, c’est celui qui mène jusqu’à chez elle. Tu pousses un râle, agites les mains en l’air et rebrousse chemin. Tu affiches un petit air boudeur, les mains plongées dans tes poches. Tu avances donc à l’opposée de là où elle habite. Tu t’efforces de le faire. Tu finis par t’accroupir, prends ta chevelure dans tes mains et pousse un petit gémissement. C’est douloureux de réfléchir autant alors que l’alcool draine légèrement tes pensées. Un pauvre sdf se lève, te rejoint et pose une main sur ton dos : “Ouais mon gars, c’est jamais simple les relations… On se sent comme des pauvres merdes dans ce genre de moments… Les femmes sont toutes les mêmes, ça profite de toi, puis ça te jette…”

Tu te relèves soudainement, rapidement, sors ton arme et la braque sur lui. Il est dans un mauvais état. Sale. Les traits du visage rongés par la fatigue. Et toi, tout ce que tu arrives à ressentir contre lui, c’est une profonde colère : “Dégage, crevure.” Pourquoi est-ce que l’univers envoie ce genre de soldat là pour t’enfoncer ? C’est vraiment d’une bassesse rare. Il bredouille quelques mots d’excuses et se retire. Tu pousses un profond soupir et ranges ton arme. Tu recommences à avancer, et ce jusqu’à une petite place. Tu relèves les yeux. D’ici, tu ne vois pas les étoiles. Tout ça te dégoûte. Tu vas t’asseoir sur un banc.

Si tu devais lui écrire, à cette femme qui hante tes pensées, qu’est-ce que tu lui dirais ? Déjà, tu commencerais par une formalité. ça donnerait un truc du genre :

“Keres, ma chère Keres”

Ouais, quelque chose comme ça. Ensuite, tu chercherais tes mots, et ça se verrait. Peut-être qu’elle sentirait l’odeur de l’alcool sur le papier. Qu’elle devinerait à quel point elle te tourmente. Qu’elle saurait lire tes tourments, ce malgré des formulations de phrase que tu espères positives et apaisantes. Ouais, et ça donnerait un truc du genre :

“Keres, ma chère Keres,

Je ne sais pas comment commencer cette lettre, et pourtant je ressens le besoin de l’écrire. Pour tenter de te sortir de ma tête, je crois. Enfaite, je ne suis sûr de rien, et c’est ça qui me rend fou. Je lève les yeux, je ne vois que mon plafond. Je regarde à droite, à gauche, je cherche ta présence, désespérément, mais non. C’est bel et bien mon esprit qui est fou, c’est lui qui s’amuse à te recréer, à te simuler pour me tourmenter. Il reconstitue ton odeur, il me semble que je peux t’entendre, te voir, te toucher. Il me semble aussi sentir tes doigts parcourir mon torse, tes mains s’accrocher à mes épaules, puis se poser contre ma nuque. Peut-être que tu te loves contre moi, peut-être que cette respiration que j’entends est la tienne, que tu dors paisiblement contre moi, et que moi, je me demande quel genre de rêve tu fais. Quel genre de rêve tu fais alors même que tu hantes les miens, et que le manque est tel que je me met à rêver de toi éveillé. Je te cherche dans chaque geste de mon quotidien, dans les étoiles, dans les nuages, dans cette dame qui fait ses courses et prend ton paquet de gâteau favoris. J’me dis que j’en ai plus à la maison, et que ça te ferait peut-être plaisir que je t’en reprenne. Ou peut-être que je ferais mieux de chercher une recette, et de les faire moi-même.”


Oui, ça commencerait probablement comme ça. Tu ne te perdrais pas en formulation inutile. Tu irais droit au but. Ensuite, tu continuerais dans ta lancée, et ce pendant plusieurs pages. Tu lui raconterais cette manière qu’elle a de te parler pendant des heures de littérature, tu lui raconterais toutes ces choses qui font que tu es profondément et éperdument amoureux d’elle, parce que moi, je n’ai pas peur de ce mot, je ne le crains pas : tu l’es, mon démon, tu es fou de Keres. Tu es attentif au moindre de ses gestes, ton regard la cherche naturellement, et une nouvelle fois, tes pas semblent te diriger vers elle.

Puis cette lettre, tu la regarderais disparaître dans les flammes en espérant que ta passion soit réduite en cendres avec elle. Mais ce feu, ardent, ne ferait que te rappeler sa fougue, et sa manière de danser, Dieu, ce qu’elle danse bien. Tu réaliserais alors une nouvelle fois que chaque petit élément de cette planète te ramène à elle. Et ça te ferait soupirer. Parce qu’à chaque fois, c’est comme ça. L’encre n’apaise pas ton cœur, elle a beau couler, et ce à flot, il te reste toujours quelque chose à dire. Elle ne disparaît pas, elle reste là, occupant une partie de ton esprit.

Tu te couches sur ce banc, regarde le ciel.

“Keres, ma chère Keres,

Simplement, je t’aime. Je t’aime, mais je ne suis pas prêt à le regarder en face. Je t’aime, mais je préfère te le dire de mille et une façon plutôt que de l’assumer clairement. Je t’aime, mais je préfère rester éloigner de cet amour parce que je ne suis pas prêt à t’offrir quelque chose de sain. Je t’aime, tout simplement Keres. Toi. Moi. Je veux croire en cette histoire, mais je ne veux pas la précipiter, parce que je suis un trouillard, et que j’ai besoin qu’on prenne notre temps. J’ai besoin que l’un et l’autre, nous nous posions tranquillement. Mais te voir avec un autre me rendrait fou, je crois, mais suis-je dans mon droit de te demander fidélité et exclusivité alors même que je n’ai pas le simple courage de te dire que je t’aime, et que je te veux ? Le sais-tu seulement ? L’as-tu deviné ? Keres, le vois-tu ?

Attends-moi, Keres, je t’en supplie.”


Voilà. Ce que simplement, tu aimerais lui écrire. Voilà. Ce que simplement, tu es incapable d’écrire.

Et tu finis par te relever, et par rentrer chez toi. Tu n’arrives pas à trouver le sommeil. Alors tu continues de la rêver, de l’imaginer. En attendant de pouvoir la voir, le lendemain.

Dans la cheminée, le feu crépite, consumant cette lettre que tu as fini par écrire.

@personne

thunder
struck