Aawake At Night ☾ Ryan

C'était la troisième nuit d'affilée que l'Ombre bossait dans cette boîte de nuit. Elle savait qu'elle devrait bientôt en changer, mesure de sécurité - ou de paranoïa.

C'est en début de soirée donc, qu'iel se dirigea vers son lieu de gagne-pain, les mains dans les poches. Sa silhouette banale se fondait comme d'habitude sans peine dans la masse ambulante d'humains et d'autres créatures.
Iel gardait l’œil ouvert. On ne savait jamais ce qu'il pouvait se passer sur le trajet jusqu'au boulot.

Il lui était arrivé trop souvent par le passé de se faire attaquer, quand on lea traquait encore.
On lea traquait toujours, mais avec beaucoup moins de chances d'aboutir à sa capture, et pour d'autres raisons. Les yakuzas avaient perdu sa piste depuis un moment...
Du moins iel en avait l'impression.

Ce n'était pas une raison pour baisser sa garde, loin de là.

Iel arriva à quelques pas de la boîte.
C'était iel, la régie. Iel qui, dans l'ombre, activerait les lumières pour faire bouger et s'amuser les jeunes qui s'y regroupaient.
Iel qui patienterait, observerait...
Surveillerait.

, fit le lascar qui gardait l'entrée.

Hah. L'inconvénient de sa malédiction, quand on ne lea reconnaissait plus même sur ses lieux de travail. Iel sortit sa carte du staff - carte qu'iel détruirait dès qu'iel en aurait fini avec ce travail.

Jamais trop de prudence, même quand ce sont de faux visage, nom et coordonnées qui se trouvaient sur ce bout de plastique. Hors de question de laisser fuiter la moindre piste.
Le malabar acquiesça d'un air bourru et soupçonneux mais ne réagit pas, son cerveau collant l'image de la photo aux traits insaisissables de l'Ombre. Il fit signe de lea laisser passer par la porte du staff tandis qu'un petit troupeau s'accumulait à sa droite pour entrer par la porte des usagers.

Aucun mot de la part du maudit, iel fit donc ainsi.
Le même schéma, banal, presque rassurant au final.

Iel se faufila dans les couloirs jusqu'à atteindre la salle de régie. Quelqu'un avait lancé les lumières et musique par défaut en attendant son arrivée. Iel jeta un coup d'oeil derrière iel pour vérifier que personne de malintentionné ne se tenait dans son dos puis ferma la porte derrière iel, en silence.

De là, iel avait vue sur toute la salle.
Elle se remplissait d'ailleurs assez vite ; ceux que Nobody avait notés comme des habitués furent les premiers à pénétrer, suivis d'autres faces inconnues.

Iel n'avait jamais compris comment l'on pouvait aimer se coller à une masse de corps étrangers puant la sueur et souvent des substances peu recommandables. Quand iel et Ren se faisaient traîner dans ce genre d'endroits par des connaissances, iels finissaient très rapidement par s'éclipser pour aller faire les quatre-cent-coups ail...

...
... Ça ne sert à rien d'y resonger. C'est une époque passée.

Iel s'assit précautionneusement dans son fauteuil et augmenta progressivement le son, puis se mit à régler les lumières pour un rendu à la fois plus tonique et plus moderne.

Voilà. Un terrain connu. Fait de boutons, de niveaux et d'automatismes. Rien de dangereux ni de vraiment compliqué a priori. Juste un peu d'attention et de méthode.

La première musique, techno, se mit à virer vers quelque chose d'encore plus agressif. Nobody chunta légèrement pour préparer le changement mélodique, pianotant avec les lumières pour les faire tourner en rythme, progressivement, ajoutant de nouvelles nuances à base de néons.

L'ambiance commençait à vraiment s'installer dans la boîte de nuit, le genre d'ambiance prête à durer toute la nuit, pour le malheur des tympans des plus sensibles et pour les bras des plus drogués. Toutes les personnes présentes se fondaient dans les couleurs artificielles des parois et des plafonds, bête chaotique sans queue ni tête.
Cette masse informe et instable était-elle réellement faite à base d'humains ?

Le volume se mit à augmenter progressivement, d'une façon prenante qui dénotait une véritable maîtrise des outils présents. Il devint fort, fort, plus fort, encore plus fort, toujours plus fort ; la foule se débauchait, se déhanchait, se marrait, s'endiablait fort elle aussi, confusément, inexorablement plus forte et capturée par les embruns de sauvagerie de la boîte.

Nobody commença à légèrement lâcher prise intérieurement, laissant ses pensées se faire assourdir par la tectonique ambiante.

C'est juste au moment où le son atteignait la moyenne de décibels qu'il garderait plus ou moins jusqu'au petit matin que ça arriva. Violemment, sauvagement ; même plus brutalement que le vacarme sensoriel de la boîte juste auparavant.

Les lumières tremblèrent, clignotèrent. Les enceintes grésillèrent brièvement.

Puis le noir total, avec le bruit d'une machine qui implose.

Tu ne pourrais pas dire que tu l'avais senti venir - ce serait faux. Pourtant, tu savais bien que ta poisse ne traînait jamais trop longtemps quand il s'agissait des objets électroniques. Il fallait toujours que ça finisse par te péter à la gueule, ou à celle de ton entourage.
Enfin... Quel entourage ? Tu as tout quitté pour venir au Canada.

Quand le noir, le silence laissèrent place à des protestations et des râlements montant de la salle, tu te levas lentement.
Tu savais que ça ne servait à rien d'essayer de trifouiller dans les câbles pour l'instant. Soit ça se remettrait tout seul en route, soit plus du tout.
Ce n'est pas comme si on allait t'accuser d'être à la cause de cette panne du matériel. Il faudrait vraiment avoir une poisse de damné pour tomber sur un être surnatu...


Le frisson te prit à la nuque.
Pas n'importe quel frisson.

Le frisson.

Comment avais-tu pu oublier que tu étais de fait, devenu un maudit par la vie et le karma dès l'instant même où tu avais serré cette main démoniaque ?

Les frissons s'accentuaient, te bouffaient l'échine. Une peur profondément ancrée commença à remonter entre tes tempes, tes jambes étaient prêtes à détaler si besoin.
La peur d'un animal pris en chasse.

Tu te raisonnas, t'efforças de refluer l'adrénaline qui menaçait de s'emparer de tes membres. Tout va bien. Tu ne risques rien, tu...

Tu ne cillas pas quand la porte s'ouvrit brutalement et une voix d'adolescent gueuler avec le ton d'un adulte gérant, de lui donner des explications.
Mais tu te figeas ; ton cœur aussi, un court instant.

Tu n'avais pas eu la bêtise d'espérer que ce soit un ange qui débarque ici au vu de la gueule de l'endroit.

Tu gardas le silence quelques secondes, analysant rapidement celui qui te faisait face.
Tu ouvris la bouche. La refermas. Tu gardas le silence au final. Puis, enfin, parlas d'une voix calme, une voix rendue grave par ton modulateur vocal.



Et tu savais qu'il savait à cause de qui, de quoi. Mais tu ne savais pas ce qu'il allait faire ; ce qu'il allait te faire.
Il était peut-être encore temps pour toi de t'enfuir.

En réalité, tu aurais dû te barrer dès l'instant où le système avait flanché. C'est ce que ton instinct t'avait hurlé, mais ton mental et ton besoin d'argent t'avaient poussé à rester. Tu t'étais dit qu'il n'y avait aucune raison de penser que tu avais fait planter volontairement la lumière et les enceintes. Tu es là pour faire ton travail, pas pour t'attirer des ennuis.

Son ton est agressif mais il ne semble pas vouloir te tuer. Pour l'instant.
Tu ne te fies d'habitude à personne ; encore moins à un démon. Celui-ci paraît plus inquiet de perdre ses recettes du soir que de te régler ton compte, semblerait-il, mais quand même. Tu avais du mal à taire cette petite voix à l'arrière de ton crâne qui te disait de prendre tes jambes à ton cou quand bien même ta vitesse ne puisse rivaliser avec celle du démon. Et cette voix te titille, te tatane, résonne entre tes neurones frileux, t'oblige à te figer pour ne pas réagir de manière irrationnelle.

Tu scrutes le démon aux traits d'adolescent ; ton patron du soir. Tu le fixes, scannes son visage dans ta mémoire.

Ses paroles, autoritaires, vrillent désagréablement dans l'espace glacé qui s'était formé dans ton épiderme. Ta nuque était engourdie des frissons qui l'agitaient incessamment et semblaient se propager dans tes vertèbres même.
T'eus envie de répliquer que tu es régie, pas technicien, ce qui était vrai en soi. Ça te faisait chier d'obéir à un démon. Mais tu ne voulais certainement pas te le mettre à dos. Alors, tu biaisas.
Tu le fixas encore un instant, tendu, mais parlas d'une voix calme que ton timbre grave rendait presque sinistre. Désincarnée.



Tu te détournas après avoir fixé plusieurs secondes de plus ton "boss" et te dirigeas vers le système grillé, surveillant du coin de l'œil les mouvements de ton interlocuteur.

T'avais toujours cette impression, avec les démons, d'être un rat coincé dans un nid de vipères.

Tu t'étais déjà mis à hauteur du panneau latéral du système afin de le dévisser quand le démon appela son technicien. Ça ne te plaisait pas pour un sou d'être dos à lui, mais partis du principe que s'il voulait vraiment te voir baigner dans une mare de sang, ce lieu n'était pas le plus propice à ça. Ni le moment. Mais, au moins tu savais ce que tu allais faire après cette nuit. À commencer de maintenant, tu vas te faire le plus discret possible. Plus que d'habitude en tout cas. Tu vas te débrouiller pour te fondre de nouveau dans la masse brouillée de la boîte et ne pas éveiller trop de curiosité du côté de ton boss temporaire.

Ensuite, tu récupérerais ta paie et prendrais la clef des champs. C'était un peu précipité, mais au final c'était ce que tu avais déjà prévu donc bon.

Tu n'aimais pas ce regard posé sur toi. Tu ne te retournas pas, ne dis rien, dévissant silencieusement le panneau et gardant les vis dans ta poche. Camouflant que tes sens étaient aux aguets comme ceux d'un animal en fuite.
Tu avais commencé à tâter précautionneusement les câbles quand la question arriva. Tu t'arrêtas dans tes gestes, un moment. Relevas légèrement la tête sans pour autant la tourner vers le faux adolescent.

Tu réfléchis un court instant. Quel prénom avait mis ton faussaire sur ta carte d'identité la plus récente ? Ah oui.
L'arrêt ne dura pas plus de quelques secondes. Tu repris ton observation du système éteint en répondant d'une voix toujours calme. Le souffle calme aussi, étonnamment.



Il avait décidément toujours le don de provoquer ce genre de coïncidences, ton faussaire. La dernière fois, c'était Mikasa. Si tu ne le savais pas inoffensif - et pourtant, tu es d'ordinaire d'avis que rien n'est inoffensif ici-bas -, tu l'aurais évité comme la peste dès ce premier tour de passe. Il ne t'avait pas demandé ce que tu avais obtenu en échange de ton âme, ni toi ce qu'il avait gagné à perdre la sienne. Mais, s'il pouvait éviter de te faire des coups de la sorte, ça t'arrangerait émotionnellement.

Tu chassas rapidement le passé de tes pensées, te concentrant dans ton analyse de la machine - qui n'aboutirait pas à grand-chose avant l'arrivée du technicien. À première vue, c'est le passage vers le générateur central qui a lâché. Tu soupiras doucement, toujours tendu.
A priori, ça ne devrait plus pouvoir t'exploser à la gueule. Mais tu n'étais pas sûr de si tes gants seraient une protection suffisante si un courant électrique venait à s'échapper d'un câble abîmé. Tu ne sais pas à quel point ta poisse compte s'amuser ce soir-là, si elle en a fini ou si elle te prépare une autre claque dans la gueule.

Tu ne dis rien de plus au suppôt, appréciant en quelque sorte de ne pas avoir à le regarder droit dans les yeux. Tu as beau te servir des Eagles et des Bones pour rétablir la "justice" dans la ville, les êtres qui les composent te mettent toujours aussi mal à l'aise, décidément. Tu espéras être rapidement débarrassé de cette présence à l'aura si... oppressante.