Aawake At Night ☾ Ryan

Tu tressautes en entendant des pas s'approcher vers la salle. Tu te mets à les analyser, à les scruter avec tes oreilles à l'affût. Plutôt lourd ; plutôt irrégulier. Pressé. Ça devait être le technicien, même si ton esprit paranoïaque ne pouvait s'empêcher de penser qu'il puisse aussi être un homme de main de ce démon prêt à te démolir sur place.
Tu tournes la tête cette fois, quand la respiration du marcheur se redécoupe au niveau de la porte. Tu le scannes brièvement : oui, il avait bien l'allure d'un technicien. Il t'engueule ; tu ne bronches pas, te relèves et t'écartes pour lui laisser la place.

Ce que j'ai foutu ?

S'il savait. Un contrat n'est pas une erreur de manip', bien qu'il foute en l'air les espoirs d'une vie meilleure de la même manière que cette boîte avait été plongée dans les ténèbres et dans un silence dévoré par l'agacement et la frustration de ses clients restants.
Il ne pouvait pas savoir. C'était un humain encore doté de son âme, qui ne se doutait probablement pas de l'existence des anges et des démons.

Merde, c'est quoi cette humeur mélancolique, ce soir ? Tu ne regrettes rien.
Rien.



Tu mets tes mains dans tes poches et observes brièvement la salle et ses deux autres occupants, le dos et les épaules droits.



Pas comme si tu avais les connaissances, de toute façon.
Tu te tus sur ces derniers mots, n'ayant rien d'autre de pertinent à transmettre.
Tu retins une grimace.

T'avais encore cette sale manie des rapports concis comme quand tu étais sous un oyabun.
Ton passé allait-il te hanter jusqu'à ce que tu tombes en Enfer ? Connaîtrais-tu jamais la paix, ou était-ce le prix pour ta fuite vers la liberté ?

Tu restas dans le coin de la pièce où tu gênerais le moins le technicien, attendant qu'il fasse son office. Tu ne comprenais pas le sentiment de dépit qui avait failli t'habiter, l'espace d'un moment.

Le silence à observer les gestes du technicien te fit un peu de bien. C'est comme si, l'espace de quelques minutes, il absorbait tes pensées pour te laisser être ce que tu étais devenu : une ombre parmi d'autres. Celle qui s'efface, celle qu'on oublie. Insaisissable ; fuyante. Avais-tu toujours été ainsi, où n'étais-tu au final devenu que l'ombre de toi-même ?

Tu clignas légèrement des yeux au changement de lumières, bougeant imperceptiblement.
Il était efficace, ce technicien. Il ronchonnait un peu trop, mais était efficace, tu devais le reconnaître.

Bien. Tu n'as plus qu'à finir ton boulot, prendre tes sous et te barrer pour toujours. Sayonara.

.......
... Tu ouvris la bouche pour parler mais de un, ne trouvas rien à dire, de deux ne trouva plus personne d'autre que toi-même dans la salle pour le dire. Le patron avait parlé, et s'en était allé.

Ça t'avait glacé la nuque, l'espace d'un moment.
Quelqu'un d'aussi paranoïaque que toi essayerait de se dire que ce n'était que pour te parler de ta paie, mais derrière ta méfiance maladive envers le monde, ta clairvoyance te permettait de sentir quand une embrouille pouvait potentiellement se préparer.

Non... C'est certainement pour me dire que je suis viré. Rien d'étonnant.

Mais, et si ce démon était de la même trempe que la vipère au Sweet G's ?

Il semble plus intéressé par le business que le jeu, de ce que j'ai vu jusqu'ici.

Merde, tu n'avais qu'une envie : te barrer dès que possible. Disparaître, te planquer. Te faire oublier. La routine.

Tu repris place à ton poste en ruminant tes questionnements, pas très rassuré dans le fond. Une sueur froide glissait dans ta nuque, là où tes frissonnements s'étaient arrêtés ; tes doigts te paraissaient légèrement gourds alors même que tu les activais agilement. En un rien de temps, la boîte fut de nouveau en état de se mettre dans autant de débauche qu'elle le souhaiterait. Tu finis de tout mettre en place, mettant de côté tes angoisses pour te concentrer sur ta tâche.

.....

Tu te retrouvas plus tard à te diriger d'un pas feutré et prudent vers le bureau du démon, marchant calmement pour mieux laisser les sons environnants venir à tes oreilles. Personne ne semblait te suivre. Tu ne sentais pas de regards te brûler la nuque. Pas de reflets de lames dans les recoins.
Tu te postas devant la porte.

...

Tendu, tu t'efforças d'abord d'entendre ce qu'il se passait à l'intérieur, hésitant d'abord à toquer.
S'il se passait quelque chose de louche, rien ne te parvint.

Tu donnas trois petits coups, discrets mais présents, le cœur s'accélérant d'une appréhension qui ne t'était que trop familière.

Est-ce qu'une paie vaut le coup de me faire possiblement tuer ?

Des scénarios à base de mort et de sang se mirent à défiler dans ton esprit nerveux.
Tu saurais ce qui t'attend d'une seconde à l'autre maintenant.

Tu tournes la poignée à l'apostrophe, et pénètres dans le bureau. Instinctivement, tu embrasses rapidement tout ses recoins du regard avant de refermer la porte derrière toi. Vérifiant notamment si une mauvaise surprise n'attendait pas de te sauter à la trachée. Tu étais toujours tendu, mais le fait que ça ne ressemble pas à un piège (immédiat) te fit légèrement relâcher la pression.
Mais pas ton attention.

Tu t'avanças prudemment, essayant de ne pas rendre tes pas trop méfiants. Mais tu gardas une certaine distance, restant debout pour le moment. Tu évitas de regarder le démon droit dans les yeux, observant ton environnement. Les plantes, les meubles, les dossiers.

Tu ne te sentais pas particulièrement fatigué, ayant adapté ton rythme de vie à la nuit depuis des années désormais. C'était la nuit qu'on échappait le plus facilement à ses poursuivants ; la nuit, dans laquelle on se fondait le plus aisément. Tu dormais le jour et agissais la nuit. Ton travail de régie de la nuit presque passée n'était qu'une banale routine pour ton organisme.

Tu fis face à ton patron temporaire, les bras le long du corps. Les frissons de ton échine te dérangeaient, te démangeaient comme si des fourmis creusaient un chemin jusqu'à ta moelle.
Tu hésitas un moment à prendre la parole, puis décidas de te lancer, toujours avec une voix calme ; cette voix calme qui était à l'opposé de l'état d'alerte constant dans lequel était ton esprit.



Jusqu'ici, notas-tu, tu étais toujours vivant.
À voir pour combien de temps.

Il prit un dossier.
T'eus un mauvais pressentiment, mais ne bougeas pas.

......

...

Tu réfléchis à toute allure.
Bien sûr que non, "Ren" ne suffisait pas pour duper un démon qui devait au minimum avoir le double de ton âge et au pire quelques millénaires de plus ; c'eut été trop beau. Non, rien de ce qui était marqué dans ce dossier n'était vrai. L'adresse menait à une vieille maison abandonnée et à moitié délabrée non loin des Docks ; les noms étaient fictifs.

Tu pris un temps de réflexion.

Tu décidas de biaiser, puisque de toute façon ça ne servait à rien de confirmer ce que ce démon savait déjà.
Ta voix était toujours calme, mais on sentait une certaine prudence dans tes mots. Dire la vérité sans effaroucher ton interlocuteur... Tu ne savais pas si tu réussirais. Tu le devais. Sans trop donner d'informations.



Tu respiras un temps, essayant de calmer tes nerfs à vif qui te hurlaient de te barrer. Ton pied gauche avait d'ailleurs légèrement commencé à glisser vers l'arrière ; tu t'empêchas de faire ce premier pas à reculons. N'allons pas donner une raison de plus à ce démon de croire que tu étais une menace.
De la vermine, c'est ce que tu es au fond, mais sur le coup, tu n'es là que pour jouer à la régie, rien de plus.



Tu étais tendu, mais ça n'était pas une nouveauté. Tu scrutais le visage de ton opposant cette fois, essayant d'analyser ses expressions.
Tu savais bien que s'il comptait t'égorger, ça pouvait très bien se passer avant même que tu n'aies l'idée de bouger le bout du petit doigt. Ta respiration commença à s'entasser dans ta gorge à cette pensée, comme si ça la rendrait plus résistante aux dangers qui pouvaient la déchirer.
Triste illusion, mais tu ne pouvais rien face à l'angoisse de mourir sans avoir accompli quelque chose qui en vaille la peine.

La première partie de sa tirade t'allait. Tu t'y attendais assez. Tu fus néanmoins soulagé qu'il ait décidé de ne pas te retirer ta paie sous prétexte que tu sois à l'origine de l'incident de plus tôt.
C'est au "cependant" que tu te mis à scruter ses moindres mots et expressions afin de percer à travers, sur tes gardes.

....

Une proposition. Lucrative.
Tu t'y attendais à moitié, à celle-là. Tu flairas que c'était très certainement pour ça qu'il t'avait demandé de venir à son bureau.

Tu restas un peu en chien de faïence quelques instants, analysant la situation.
Tu n'avais qu'une envie, toujours la même depuis tout à l'heure : disparaître.
Mais... Au-delà de ton niveau de flippe et de prudence plus qu'élevé, tu étais un peu curieux.
Ecouter, ce n'était pas accepter après tout.

T'avais beau n'être qu'une ombre, tu devais quand même payer ton voisin pour l'électricité et l'eau potable qu'il te détournait.

Tu observas la situation quelques secondes encore avant d'émettre tes premiers mots.



Tu te doutais que pour que ce soit lucratif et mené par le patron d'une boîte comme celle-ci, un démon cupide en prime, il y avait très certainement quelque chose de crade dans l'air. Tu pouvais écouter sa proposition et décider de refuser si ça ne correspondait pas à tes valeurs... ou si ça mettait ta vie en trop grand péril.

L'argent c'est bien, la vie c'est mieux. D'autant plus si c'était la dernière que tu passerais jamais sur Terre - mais cette information, tu ne pouvais pas l'avoir. À quoi t'aurait-elle servie de toute manière ?