Pétales de sang ⌖ Narcisse

Les bandes glissent entre tes doigts. Un souffle. Long. Se concentrer sur les battements de son cœur. Elles viennent recouvrir tes phalanges, camoufler toutes ces blessures. Tu ne contrôles pas ta force. Tu as frappé sans réfléchir aux conséquences. Ton regard se pose sur le sac de frappe. Enfin, ce qu’il en reste. Un léger rire. Putain. Que de violence dans cette minable vie. Ce que tu peux te faire chier. La même routine. Toujours. Toutes tes journées se ressemblent, ça te rend malade. S’entrainer. Chercher quelques informations en sirotant un jus de fraise. Tu n’aimes pas spécialement les jus de fraise, c’est juste une habitude. Ils n’avaient que ça dans le camp d’entrainement. Alors, ça rassure ton cerveau. Programmé. Tu t’oublies vraiment Narcisse.

Tu cesses de bander tes mains blessées lorsque le téléphone sonne. Tu te lèves avec un soupir. Le visage de ton père apparait sur la grande télé. Lui, il a fait une connerie. Sa paupière saute légèrement, il fait tourner son stylo entre ses doigts. Le parfait profil du coupable. Tu tires une petite révérence. Là aussi, c’est toujours comme ça. Ne pas sourire. Ne montrer aucune émotion. Tu n’en ressens plus de toute façon. Le vide. Le néant. Même l’adrénaline est un lointain souvenir : ils sont tous si faibles ici. Ceux qui pourraient être intéressant ne font pas partie du plan, tu n’as aucune raison de leur foutre des bâtons dans les rues.

Il t'explique alors la situation. Tu soupires. Tu respectes énormément ton père, mais pourquoi s'acharne-t-il à tenter d'hacker des systèmes, surtout aussi pointilleux que ceux des Eagles, alors que même le p'tit McDo du coin parviendrait à lui résister ? Tu ne sais pas, et tu ne comprendras jamais. Probablement une question d'égo. Tu sautes sur ton siège sans prendre le temps de lui répondre. C'est une urgence. Il ne faut surtout pas que l'on remonte jusqu'à toi, surtout que vous parlez des Eagles là. Et c'est bien la dernière chose que tu veux avoir dans les pattes.

Putain de bordel de merde. Ils sont rapides ces enfoirés. Tu ne sais pas jusqu'où iel est allé.e. Tu n'en as aucune idée, tout ce que tu sais, c'est que ton père vient probablement de faire la plus grosse erreur de sa carrière. S'il vient à se faire découvrir, il va prendre très cher. C'est pour ça que tu vas veiller à effacer toute trace. Oui. Le moindre petit indice du passage des Eagles dans les données va être effacer. Y compris la personne qui se cache sous ces piles de code.

Tu fais un signe de main à ton père. Tu vas avoir besoin de concentration. Tu débouches un jus de fraise, commences à contrer les attaques d'une main. Tu lui poses un premier mur. Réactif, il réagit dans la seconde. Tu vas avoir besoin de tes deux mains. Un petit sourire étire tes lèvres. Tu parlais de routine ennuyante tout à l'heure... Il semblerait bien que cette personne soit déterminée à t'en faire sortir.

Tes doigts volent sur la surface du clavier, tout est si spontané. Trop spontané. Bien trop pour que ce soit normal. Les codes volent, se heurtent, s'entremêlent avant de provoquer une véritable explosion. Tu le fais reculer. Brutalement. Mais ça ne semble pas le déstabiliser des masses. C'est un miracle qu'il soit encore dans le système avec toi en face. Ton père a réellement pensé pouvoir faire quelque chose contre ce genre de monstre informatique ? C'est un compliment. Surtout venant de toi. L'adversaire est à ta taille.

Tu n'as pas intérêt à être dérangé. Une erreur te sera fatale et te fera perdre tout le terrain que tu as réussi à gagner. Une nouvelle gorgée. Bordel, c'est vraiment dégueulasse.

Tes yeux vacillent. Il te semble que tu as vu flou pendant quelques instants. Si tu avais été comme les autres, si tu n’avais pas été détruite, si ton corps n’avait pas été formaté pour ne rien montrer du peu que tu es capable de ressentir, tes doigts auraient trembler. Tu ne sais pas depuis quand il a prévu ce coup-là, mais tu ne t’y attendais pas. Il t’a eu par surprise, te provoquant un mélange de mille et une émotions.

Narcisse. Ton prénom. Celui que seul ton père connait. Il ne te semble pas qu’iel soit resté bien longtemps à parcourir les données numériques, mais iel a su trouver suffisamment d’informations pour que tu ne déroges pas à cette rencontre qu’iel te propose. Tu y seras. Probablement en avance, pour tenter de lae voir arriver. Tu tournes sur ton siège, les yeux rivés sur ton plafond. Il faut vraiment que ton père arrête de jouer au con.

Tu te redresses, replaçant ta veste d’un petit geste de main. Tu t’avances d’un air décidé. Il t’a montré ce dont il est capable. Tu ne dois pas le sous-estimer. Ton pieds part, rencontre le sac de frappe qui se décroche sous le coup. Tu esquisses un petit sourire. Putain, de l’adrénaline. Tu ressens quelque chose, de puissant. Quelque chose qui fait revivre cette carcasse ambulante que tu es. Qui qu’iel soit, tu lae remercies. Et tu t’excuserai presque de devoir gâcher un talent pareil. Vous auriez pu aller très loin, mais c’est juste impossible. Pour ta propre sécurité, pour celle des Lycoris Rouge. Pour celle de ton père.
Tu éclates de rire. Bordel de merde, qu’est-ce que ça fait du bien ! Midi. Demain. Tu as hâte. Peu importe l’issue. Et pour une fois, tu vas faire cavalier seul. Ton père n’a pas nécessairement besoin de savoir à quel point il a merdé. Tu t’en chargeras toute seule. De tes lèvres sortent un prénom, le démon qui t’accompagne fidèlement débarque dans la seconde. A son tour, elle esquisse un sourire lorsque tu te retournes vers elle avec un grand sourire. Chose qu’elle n’a probablement jamais vu jusque-là. Tu vas avoir besoin d’elle.


Le lendemain. 11h30. Tu décolles, te faufile dans les rues en courant. Tu portes une tenue entièrement noire, tes cheveux encadrent ton visage qui brûle sous l’excitation. La démone ne se montrera pas, et ne te suivra pas. Jumbo Garden. C’est fréquenté, ce n’est pas aujourd’hui que la confrontation aura lieu. Alors tu préfères garder cette arme au chaud, qu’iel ne se doute pas que dans la vie de tous les jours, un piaf plutôt puissant te suit à la trace. Tu ne connais pas la nature de taon adversaire, mais tu préfères prendre tes précautions. D’autant plus que c’est un Eagle. Prendre ses précautions, selon ce qu’iel sait, ses supérieurs sont probablement au courant. Aaah, ce que c’est excitant !

Te voilà arrivée. Comme prévu, du monde. Suffisamment pour que tu ne saches pas de quel côté iel peut arriver. Bordel, c’est vraiment intelligent ! Un petit sourire étire une nouvelle fois tes lèvres tandis que tu continues ta marche entre les gens qui dévorent leur pique-nique. C’est vrai qu’il fait beau, même si c’est vraiment bizarre de manger comme ça, assis sur l’herbe avec les fourmis qui viennent titiller vos sandwichs. Mais il y a plein de choses bizarres, ici.

Les aigles sont rusés. Il faut que tu fasses attention, attention que ses griffes acérées ne te frôlent pas. Rester au-dessus de lui. Le dominer. Il faut que tu avances avec minutie et stratégie tes pions, au risque de perdre la partie, et c’est tout ton monde qui s’effondra. Celui de ton père. Celui de tellement de personnes. La chute pourrait être douloureuse, très douloureuse. Le contrôle. Garder le contrôle.

Face à toi. Il s’arrête. Vos regards se croisent, et tu devines sans trop de mal que c’est ton ennemi qui te fait face. Un ange. Alors ta nature ne sera pas un secret pour lui. Tu ne sais pas quelles informations il a déjà, tu avances à tatillon sur un terrain que tu ne connais pas. Le but aujourd’hui va être de déterminer à quel point il est sûr de lui. Et d’en dire le moins possible, évidemment. Faire en sorte qu’il oublie un peu ton existence pour pouvoir l’attaquer au moment où il s’en doute le moins.

Analyser. Analyser sa respiration, la manière que son corps a de bouger, la manière qu’il a de te regarder. La tonalité de sa voix, les tics de ses lèvres. Mais rien. Première fois dans ta vie que tu n’arrives à tirer aucune information d’un individu. Et ça te ferait presque sourire. Aussi impénétrable que la veille. De loin, vous devez vraiment avoir l’air de deux statues de glaces, ou ces hommes, vous devez sûrement les connaitre, ceux qui imitent à la perfection les statues contre quelques pièces.

Bordel, ton père est vraiment un idiot de temps à autre. « Proposition acceptée. » Neutre.

Parce que c’est ainsi que tout va se jouer, tenter de contrer les coups, tenter de comprendre comment son adversaire va avancer ses pions. Appréhender sa stratégie, un peu comme un robot. Il faut que tu saches l’imiter à la perfection. Que tu ne sois surprise par rien. Le comprendre. Tu as le sentiment que ça ne va pas être une mince affaire. Mais tu as son visage. Tu vas pouvoir remonter sa trace. En savoir plus sur ce personnage. Cet adversaire. Cet adversaire que tu reconnais comme un égal. Et autant dire que ce n’est jamais arrivé jusqu’à aujourd’hui. Tu crains qu’il ne te déçoive, tu as placé tant d’espoir en lui.  
Vous vous asseyez sur un banc vide non loin de là. Vu l’heure, c’est un miracle qu’il y en ait encore un de libre. « J’imagine que tu ne comptes pas me dire ce que tu sais ? » Non, probablement pas. Mais tu ne sais jamais… Peut-être que tout peut être aussi simple que ça…

Les Lycoris Rouge. Une première victoire pour toi, que tu fêtes silencieusement sans rien dire. Il ne sait donc rien de plus que ce que tes dossiers peuvent dire : tu sais que ce n’est pas le vrai nom de l’organisation, tu es la seule à l’utiliser. Les Lycoris Rouges, c’est simplement le symbole. Même toi, tu n’as pas connaissance de toutes les actions de cette secte, même toi, tu ne connais pas son nom. On te l’a probablement dit, mais c’est le genre d’informations que tu as tendance à oublier facilement : toi et les prénoms, c’est compliqué. « Réessaie. Je ne suis pas encore convaincue. »

Une pointe d’ironie. Tes doigts torturent un bout de papier dans ta poche, toi, tu analyses finement les traits de son visage. Tu ne dois rien oublier pour pouvoir le débusquer plus tard. Savoir qui il est. Son prénom. Son nom. Son histoire. Il faut à tout prix que tu aies un moyen de pression sur lui. Que tu en trouves un : et tu te fais confiance, tu y arriveras. Et sans hacker le système des Eagles… Bordel, il est vraiment stupide quand il s’y met, tu n’en reviens pas ! Avec tout le respect que tu lui dois hein, mais même toi alors que tu es une des meilleures hackeuses de cette secte, tu évites de t’y frotter.« Tu pensais réellement que ça allait être aussi simple ? Tout comme tu ne comptes pas me délivrer les informations dont j’ai besoin, je ne te dirai rien sur ma « secte » comme tu dis. »

Il peut attenter de ta vie. Il peut te torturer. Il peut faire ce qu’il veut de toi : tu resteras muette comme une tombe. Parce que c’est ce qu’on t’a appris à faire. Et que tu es plutôt résistante ! Tu ne te laisses clairement pas faire facilement.
L’annonce du Lycoris Rouge avait probablement pour but de te déstabiliser. Au moins un peu. Mais tu sais à quoi t’en tenir : ta respiration est apaisée, pas un seul frétillement de paupières. « Ce genre d’erreur, tu t’en doutes, est très loin d’être fréquente. Ça ne recommencera plus. »

Autrement dit : il ne saura rien de plus. Narcisse ne laissera plus passer un seul petit pixel, une seule petite parole. Si ce n’est en ayant l’assurance qu’il poussera son dernier soupir dans la seconde qui suit : il saura s’il meurt. En vie, il restera aussi ignorant qu’il l’est actuellement.

Tu plisses les yeux. Il abandonne rapidement. Il n’est pas bête. Il sait que cette rencontre est dangereuse. Tu aurais aimé qu’il te sous-estime, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Il sait. Et toi, tu te dis qu’il n’a pas pu venir ici, prendre de tels risques pour repartir aussi rapidement sans aucune nouveauté. C’est un excellent hackeur. C’est comme ça que vous vous êtes rencontrés. C’est comme ça que tu as rencontré cet ennemi que tu estimes bien plus que tu ne le devrais.

Ton téléphone. Tu esquisses un petit sourire, puis lâches un rire froid. Il ne trouvera rien, si ce n’est le numéro de téléphone exact de ton père. Mais ce dernier sera une véritable tombe, et vos messages se résument aux prix des baguettes du coin. Finalement, peut-être bien qu’il te sous-estime… un peu. Tu n’aurais pas commis une erreur aussi bête, déjà que c’est un miracle qu’il soit tombé sur le peu de données que les lycoris gardent de manière informatiques. « Tu n’apprécies pas le danger à ce que je vois… T’es pas joueur. »

Tu te relèves, te jettes à sa poursuite. Abandonner aussi facilement, ce n’est pas ce qu’on t’a appris. Et tu n’as pas envie qu’il s’éloigne. De le laisser fuir. Parce qu’il représente une opportunité en or, à laquelle tu ne devrais pas penser. Si jamais tu ressens le besoin de t’éloigner des lycoris rouges un jour ou l’autre… les Eagles. Ils en sont capables, de détruire cette secte. Et tu ne devrais vraiment pas penser comme ça. Les anges ont-ils la capacité d’infiltrer l’esprit ? « Tu ne trouveras rien qui puisse réellement t’aider dans ce téléphone. »

Elle est le seule élément concret que l’ange a dans cette enquête. Le seul, l’unique. Le seul qui a les informations dont il a besoin. « Et de manière plus globale, tu ne trouveras rien d’autre. »

Le sous-entendu est très clair : rien n’est informatisé. Rien de plus que ce à quoi il a eu brièvement accès.« Pourquoi être venu ? Pourquoi avoir fixer ce rendez vous pour quelque chose d’aussi désespéré qu’une tentative d’hacking sur mon téléphone ? »

C'est vrai que tu as du mal à comprendre... Il n'a fait que te donner des informations sur lui. Il avait déjà ton identité, il sait qui tu es. Toi, tu n'avais absolument rien sur lui. Il vient simplement de te donner des cartes contre lui.