Point de chute [ZIEEEEEEEL]

Les étudiants sortent des cours. Toi aussi, tu fais partie de cette masse maintenant. Enfin, pas à l’instant même. Là, tu entres pleinement dans le monde de la nuit. Tu vas taffer. Et pour l’occasion… Des cookies ! C’est pour ton client. Tu les as complètement ratés. Pour changer… Ce n’est pas ma faute, t’es un désastre culinaire Ziel ! Si ta sœur ne te préparait pas des tuperware, tu ne pourrais pas survivre ! Tu te rends compte ? Non, toi, t’es content parce que tu vas pouvoir intoxiquer ton client. Et que tu ne l’aimes pas du tout ce client, c’est un gros connard. Comme une bonne partie de tes clients d’ailleurs… Un jour, tu tourneras en solo. Tu y crois.

Mais pour l’instant, tu continues ta carrière de tueur en série. Le tueur aux cookies. Putain, ça c’est du titre de première de journal ! A en faire pâlir les plus téméraires des tueurs en série ! Faudra que tu demandes des conseils à ta jumelle pour cacher les preuves. Pas à ton ainé. Lui, tu préfères le placer sur la liste des victimes. Il y sera bien mieux. Puis, au moins, il dormira. Et c’est super confortable un cercueil, il sera content. Cette pensée te tire un petit sourire amusé. T’es un psychopathe quand tu veux. Mais bon, t’es un Curtis, on ne peut pas t’en vouloir.

Cette femme te tire brutalement de tes rêveries. Elle fait un malaise ? Tu la regardes pendant quelques instants comme un idiot sans savoir quoi faire. Puis ton cerveau se relance. Tu t’accroupis, la secoue légèrement. Ziel, ce n’est pas comme ça qu’on fait. Faut vraiment pas te confier les premiers soins d’une personne en danger. Tu vas lui taper la tête contre le sol en hurlant : « REVEILLE TOIIII MADAME ! » et t’étonner de la quantité de sang qu’un humain peut perdre. « Vous m’entendez ? Vous avez besoin de quelque chose ? »

C’est déjà mieux.

Du sucre… Du sucre… C’est ce que tu redoutais le plus. La pauvre fille fait une crise d’hypoglycémie, et les seuls trucs que tu as sur toi qui contiennent du sucre ont probablement le pouvoir de la tuer et de l’envoyer danser au Paradis dans les quelques heures qui viennent. Bon, tu exagères un peu, mais l’hôpital, c’est pratiquement certifié. Tu n’as jamais vu qui que ce soit y résister. Et pourtant, tu as testé cette machiavélique technique sur pas mal de gens…

Alors frénétiquement, ton regard cherche un moyen de s’en sortir. Une supérette, quelque chose où tu pourrais trouver un aliment qui pourrait l’aider sans la tuer instantanément. Parce que ce serait dommage quand même… Mais malheureusement : rien. Rien d’ouvert en tout cas. Alors d’une main tremblante, tu vas chercher la petite boite de cookie et l’ouvre timidement. Le pire avec ta cuisine, c’est que d’aspect, elle n’a pas l’air si terrible que ça. Comme un chat. C’est tout fluffy, tout mignon, puis tu t’approches et ça t’arrache un bras : « Je n’ai que ça à te proposer, mais je te préviens, ce n’est vraiment pas terrible… Je ne te le conseille vraiment pas… Tu ne veux pas que j’appelle les pompiers plutôt ? »

Tu vas tuer une innocente. Tu vas avoir sa mort sur la conscience. Elle va t’en vouloir toute sa vie. Mais tu l’auras prévenu… Puis, elle a l'air encore si jeune, elle a toute sa vie devant elle, faudrait qu'elle profite... Mais non, tu ne vois pas d'autres issus. Aucun de tes proches n'est à proximité. Il n'y a que ces foutus cookies, toi, et elle. Puis la Faucheuse qui vous regarde du coin de la rue aussi.

Ouais. C'est sûr qu'elle est dans le coin. Elle a dû sentir l'odeur de tes cookies...

…

………

Bon. Tu avoues ne rien avoir compris à la scène. Non pas que tu sois surpris du dégoût que tes cookies lui ont procuré, mais tu l’es surtout de la rapidité avec laquelle elle a retrouvé ses esprits. Ce ne sont pas les réactions que les gens ont habituellement. Ils ont davantage tendance à tomber raide mort, ou à avoir juste ce qu’il faut d’énergie afin de courir aux toilettes. Mais là… Son visage a perdu de son aspect presque verdâtre tant elle était pâle, ses gestes sont vifs, précis et rapides… Il semblerait que tes cookies lui aient redonné la fougue de vivre.

Et toi, tu ne sais réellement pas quoi lui répondre. Tu es bouche bée, et en plus de ça, tu n’as pas de réponse. Comment tu arrives à foirer des cookies ? Toi-même tu ne sais pas : tu as beau y mettre toute ta volonté, tu n’y arrives jamais, tu vois un peu ça comme une malédiction. Nan puis quand ta cuisine prend un tournant presque positif, il t’arrive toujours un malheur. Genre le plat tombe et se casse, ou tu te coupes un doigt et tu finis aux urgences.

Oui. Tu as déjà fini aux urgences à cause de la cuisine. C’est terrible. C’est triste. Tu n’as même pas plus goûté ton plat en plus !! Sam l’a jeté avant, alors que si ta théorie est correcte, vu la quantité de sang que tu as perdu, et l’impact qu’a eu sur toi cette petite session, ton plat devait être excellent. Plus tu es dans la merde, meilleur c’est. C’est comme ça que ça fonctionne avec toi.  
Bordel, elle est toujours en vie, t’en reviens vraiment pas. Et voilà que cette gamine t’attrape le poignet, et te tires tu ne sais où. Et toi, tu la suis, bêtement. Un jour, tu vas mourir Ezequiel. Tu tentes de bredouiller un : « Je dois aller bosser… » Mais rien n’y fait. Elle semble animer d’une flamme, que dis-je, d’un incendie tout entier qui la pousse à te trainer jusqu’à chez elle vraisemblablement.

Une fois que vous êtes arrivés à destination (toujours sans ton consentement hein, mais c’est fou la force qu’à cette gamine), tu regardes autour de toi, prends connaissance de ton environnement. Tu arques un sourcil, et la dévisages : « ça t’arrive souvent de trainer de parfaits inconnus chez toi juste parce qu’ils ne savent pas faire des cookies ? Et je te le dis d’entrée de jeu : je suis une cause perdue, hormis prendre le risque que ta cuisine brûle ou que je casse tout, tu ne fais rien de bien malin là… »

Ça lui arrive souvent de ramener des mecs chez elle ? Tu vois bien qu’elle n’a pas pensé un seul instant que tu pourrais être un dangereux psychopathe prêt à la tuer dès que tu passeras le pallier de sa porte. Quoi que tu as déjà essayé, elle a mangé un de tes cookies… et il semblerait qu’elle accepte le terrible challenge que celui de t’apprendre à cuisiner. Tu la regardes s’affairer, t’imaginant déjà la terrible tragédie qui commence à se mettre en place. Tu t’attends à voir le chœur entrer, et annoncer la terrible nouvelle : aujourd’hui, le sang et les larmes vont couler, c’est la mort qu’elle a fait entrer chez elle. Ce qui est dramatique dans cette histoire, c’est que nul ne sait qui mourra aujourd’hui. Elle pourrait te tuer de plusieurs coups de couteau, déprimé par la catastrophe culinaire ambulante que tu es. Ou peut-être que le poison présent dans le cookie (à ton insu, c’est juste que tu es vraiment nul) la tuera avant qu’elle n’ait le temps de le faire. Les larmes, elles viendront soit de ta sœur jumelle, soit de cette colocataire qui, tu es sûr, la pleurera. De toute façon, elle n’a pas le choix, c’est dans le script.

Tu attrapes le tablier qu’elle te donne, de force. Comme tout ce qu’elle a fait jusqu’à maintenant avec toi. Naturellement, un sourire étire tes lèvres, et tu te dis que tu es vraiment incapable de réfléchir sérieusement. Mais en même temps, la situation prête à rire : t’es en train de te faire engueuler par une adolescente, toi, le grand gaillard qui passait il y a encore quelques semaines de cela plus de temps à chercher la merde dans les ruelles le soir qu’à faire le ménage chez lui : « Tu n’aurais pas des armures plutôt ? Je t’assure que c’est bien plus efficace contre ma cuisine que ça… » Tu lèves le tablier pour le lui montrer. Puis tu lâches un petit rire, l’enfiles, et ajoutes : « Et tu n’es pas la première à essayer. D’autres ont échoué avant toi, je suis une catastrophe ambulante en cuisine, et je ne peux rien contre. »

C’est un avertissement. Tu as l’étrange présentiment qu’il ne servira à rien, que c’est une véritable tête de mule, et qu’elle foncera droit dans le mur malgré tout ce que tu peux lui dire. Alors tu vas cuisiner, et prier pour qu’elle ne te cuisine pas toi avant la fin de ce petit cours. Tu te diriges vers le lavabo, te laves soigneusement les mains comme elle te l’a demandé. Tes clients ne te connaissent pas aussi soumis, mon cher Ziel. Tu les essuies ensuite, et te mets au garde à vous :

« Vous ne devriez vraiment pas me laisser toucher à vos fourneaux mon général. »