Great Vacation ⌖ Kaela

Oui, ta question l'avait mise mal à l'aise. Oui, tu savais que ça le ferait. Oui, tu l'as quand même posée. Non, ça ne t'a pas dérangé. Et oui, tu as l'heure.

Tu retins un soupir, baissas mornement un sourcil et sortis ton téléphone. Tu allumas l'écran avec l'heure affichée, fis disparaître les notifications qui ne regardaient que toi, et le lui tendis calmement sans un mot, la fixant sans ciller. Ton regard ne serait à vrai dire pas très vivant si ce n'était la faible lueur d'attention qui y siégeait.

T'attendis sa réponse, te demandant même un instant si la bâtarde ne préférera pas se lever pour la dernière fois de la matinée et te laisser profiter d'un sale vent (mérité ?).
Ça te changerait tiens, toi qui as tellement l'habitude de les coller aux autres. Petit con va.

Mais non, elle finit par te répondre, et tu la laissas parler d'un œil calme. T'aurais même légèrement moins l'air blasé sur le coup.
Non pas que ça te fasse palpiter d'écouter les déboires des autres, t'avais choisi de faire informatique et c'était pour une raison, mais tu devais t'avouer que t'avais fini par devenir un peu curieux malgré tout.

C'est un peu con pour quelqu'un qui disait ne pas vouloir s'intéresser à une bâtarde au risque de se retrouver face à elle en pleine folie et avec pour ordre de l'éliminer. Mais bon... Des fois, faut arrêter de voir le monde tout en noir. Essaye un peu de rose pour une fois, ça te changera.
Ou du bleu, puisque t'aimes tant les trucs binaires que ça.

- Je vois.

Tu zieutas sa mine cernée.


Tu te sentis pris d'une inspiration dont tu ne localisas tout d'abord pas la source. Tu pris une courte inspiration, avant de parler.

- Si je devais te donner un conseil, quand les données sensorielles deviennent intenables...

Quelque chose remontait à ta mémoire et sortis sans filtre par ta bouche.

- Essaye de mâcher de la menthe poivrée. Ça atténuera les migraines.

Nikolai en prenait souvent, quand il était en pleine crise d'hypersensibilité.

...

... attend...

Nikolai ?

Le souvenir disparut sans que tu n'arrives à l'accrocher de tes serres, quittant la zone du vague pour retourner dans l'oubli total.

Un sentiment mêlant douceur et pure douleur avait gratté le fond de ton cœur engourdi.
Tu serras les lèvres.

- Je vais... Chercher une deuxième tasse de café.

....

Mais proposes-lui si elle en veut une deuxième elle aussi, espèce d'andouille. Tu crois qu'elle va comprendre le regard que tu lui lances ? Des mots, utilise des mots. Aucun de vous deux n'est télépathe, pour ta gouverne.

... Non ? T'es renfermé sur toi-même à ce point ? Mama.
Tu commences à t'éloigner, quelle que soit sa réponse.

Le ton familier de la bâtarde ne te choqua ni t'interpella outre mesure. Ce n'étaient pas des détails qui te marquaient beaucoup, en général. Tes pensées traînaient toujours ailleurs, là où selon toi elles avaient plus leur place que dans des broutilles du quotidien.

Tu t'en foutais comme d'une guigne, des broutilles de ce genre.

Quoi qu'il en soit, tu te retrouvas de nouveau dans la petite queue menant au saint graal des étudiants, muré dans ton silence. Ce petit moment en aparté te permit de faire un peu le tri dans tes ressentis et émotions.

C'était une réminiscence d'une ancienne vie, ce qui était remonté juste à l'instant ?

Tu essayas de mettre un doigt plus précis dessus, profondément mal à l'aise et l'arrière du crâne vibrant désagréablement. Tu fermas les paupières et te pinças l'arrête du nez, tranquillisant ta respiration et par là même les battements de ton cœur.

Inspiration. Expiration.




Tout en silence.

Tu avanças dans la queue, arrivant presque à la caisse. Si ton esprit était encore légèrement perturbé, il avait aussi retrouvé de son calme.
Cependant, le souvenir s'était définitivement échappé, pour cette fois.

Au final, tu ne sais pas si tu souhaites vraiment t'en rappeler. Il y a bien une raison au fait que vous ne vous souveniez jamais précisément de vos vies précédentes, et tu avais déjà assez à porter avec les souvenirs de cette vie-ci. Mais cette pique profondément plantée dans ton âme, tu l'avais salement sentie. Combien de plaies mal refermées avais-tu au juste ?
C'était ridicule.

Tu secouas légèrement la tête, puis ce fut ton tour.
Tu te pris un macchiato cette fois, et commandas la même chose que l'externe avait déjà pris en terme de café pour elle. Tu réglas l'addition, puis te dirigeas de nouveau vers votre table et déposas sa tasse devant la brune, t'asseyant pour ta part en face de la tienne brûlante.

Tu observas la surface crémeuse de ta boisson, y plongeant ton regard morne et bleu. Tu restas quelques secondes comme ça.

Ne trouvant rien à dire qui justifie que t'utilises ta salive, tu pris une première gorgée, t'adossant légèrement contre ta chaise, toujours entouré de cette nappe de calme qui pouvait en perturber plus d'un.
Tu n'aimais pas parler pour ne rien dire ; ça ne changeait pas dans cette situation-ci.
Pas comme si parler était une activité qui te plaisait en général, de toute façon.

Et tu n'étais pas là pour passer un interrogatoire à cette bâtarde. Tu ne penses pas l'avoir vue dans vos registres de bâtards à surveiller ; ça n'empêche pas qu'elle puisse être une faiseuse de contrats qui enchaînerait ses prises derrière vos radars, mais même. Tu faisais partie de ces anges profondément haineux et hargneux avec les démons, mais qui avaient quelques scrupules avec leurs progénitures métisses. Ce léger paradoxe te perturbait toi-même.

Le nez dans ta tasse de nouveau, tu scrutas Kaela - toujours sans rien dire.

Qui sait ce à quoi tu pensais ?

Elle te remercie, tu hausses légèrement les épaules pour toute réponse. Elle a l'air de nouveau mal à l'aise, tu aurais du mal à le dire. L'empathie n'est plus vraiment ton fort.

Tu bois une gorgée, la quittant un instant du regard. Ça ne dure pas, tu as du mal à t'empêcher de ne pas la fixer. Les bâtards t'intriguent, cela tu pouvais bien le concevoir. Elle finit par te rendre ton regard, avec un fond de défi, te sembla-t-il. Vous restèrent comme ça, soutenir les regards ne te dérangeait pas. On aurait dit la scène de deux oiseaux en train de se jauger, avec l'un essayant d'imposer son aura face à celle dérangeante de l'autre.

Le silence se distendait, mais était largement moins dérangeant que les premiers, bien que la même tension restait présente en arrière-plan. C'était comme une corde que l'on étirait et que l'on faisait vibrer à l'arrière de vos crânes, un peu aigue mais supportable.

Mais le silence éclata quand une voix de stentor résonna dans au moins toute la cafétéria si ce n'est jusqu'en dehors.

- HEYYYYYYYYYYYYYYYY LUUUUUUUUUUUKEEEEEEEEEEEEEEEEEEE, MON POTE !!! COMMENT TU VAS ???!

..... Hugo.

Pour celleux qui doutaient que la quantité de blase de ton visage puisse doubler voire tripler, iels eurent la preuve du contraire. Tes traits semblèrent s'alourdir d'une lassitude intensifiée, à tel point qu'on aurait presque de la peine pour toi. Ton café te parut tiédasse entre tes mains, tout d'un coup.

Pas encore lui.

Une touffe blonde apparut à côté, tirant sans gêne une chaise pour s'installer à votre table.
Tu soupiras, il ne le remarqua pas.

- Oh, euh, bonjour !! , fit-il à l'intention de Kaela. Moi c'est Hugo !! Alors, quoi d'beau par ici ???

Comment peut-on être aussi surexcité à cette heure-ci ? Il se nourrit de café et de sucre tout au long de la journée ou quoi ? Ce type était un taré, et il était éreintant à supporter.
Mais c'était peut-être ce qui se rapprochait le plus d'un ami de fac pour toi, bien que ce terme te soit particulièrement abstrait. Tu ne pris pas la peine de répondre, buvant ton café en silence.

Ses yeux ? Ses, dans "tes" ? De quoi parlait-elle...? Tu ne comprenais pas. Tu la scrutas avec une brève curiosité puis haussas vaguement les épaules pour toi-même. Qui savait ce qu'il se passait sous le crâne d'une bâtarde. Cela n'avait certainement pas beaucoup d'importance. Tu écoutas passivement leurs présentations, le nez toujours plongé dans ta tasse. D'ailleurs tu ne compris pas plus l'excuse silencieuse de la brune. Ce n'est pas comme si elle avait donné un prétexte à Hugo pour rester, il s'en trouvait très bien tout seu...

"Tes" yeux... s'écarquillèrent légèrement.
... Non mais qu'est-ce qu'il racontait l'autre con ?
Tu fronças les sourcils, ne sachant pas quoi répondre à ce compliment venu de nulle part. Hugo éclata de rire.

- Ouuuh, monsieur pas content de se prendre des compliments ! Il passa son bras sur les épaules du pauvre ange asocial avec un sourire lumineux. Il n'a pas l'air avec son air de glace mais c'est un gros timide au fond, ouhloulouuu ~!

Tu t'étais tendu au contact mais parce que tu avais l'habitude, tu ne te recroquevillas même pas, gardant un air désaffecté et renfrogné. Ton ton resta égal.

- Enlève ton bras de mon épaule s'il-te-plaît.

Comme si de rien n'était, tu continuais de boire ton café, ayant à peine jeté un regard mauvais dans la direction du blond. Celui-ci obéit, mais ce fut pour te pincer légèrement la joue avec un sourire gamin.

- Mais c'est qu'il mordrait le matou ! Haha ok, j'arrête, me lance pas ces regards de la mort qui tue STP.

Il porta son regard sur Kaela puis sur toi, puis de nouveau sur Kaela.

- Heyyy du coup, vous vous connaissez depuis longtemps ou quoi ?

Le mec qui viendrait uniquement de calculer qu'il venait littéralement d'empiéter sur un date si c'en avait été un...

Tu sentis l'éclair d'illumination traverser l'esprit du sportif et sus à l'avance que ce serait chiant. Le regard plus terne que jamais, tu laissas l'autre blondinet hurler sa fausse déduction, te réfugiant dans ta tasse qui ne tarderait pas à être vide à ce rythme. Ce serait peut-être une excuse pour le fuir... Quoiqu'il serait bien foutu de te coller malgré tout.
Si tu le pouvais, tu baisserais les oreilles. Il te les cassait, et pas qu'elles.

Et le rire de la bâtarde n'aidait pas. Tes tympans sifflaient de toute cette agitation. Si tu avais une quelconque once d'intérêt pour ton monde extérieur, peut-être te serais-tu vexé de la réponse catégorique de la brune. Mais tu t'en foutais. T'étais juste blasé, pour changer. Qu'elle fasse la parlotte t'arrangeait.

Hugo vous observa tour à tour d'un air suspicieux.

- ... pour de vrai ?? Il semblait incrédule.

Tu soupiras neutrement.

- Comme elle l'a dit.

Hugo poussa un soupir, déçu.

- Ow man... Je ne sais pas si je dois être déçu pour toi ou rassuré que tu sois pareil avec tout le monde.

Il se redressa sur sa chaise avec un air espiègle.

- MAIS DU COUP ! J'ai toujours une chance ? :D

Tu ne savais jamais s'il était sérieux en disant ce genre de trucs ou s'il faisait juste perpétuellement le pitre. Qu'importe en réalité, car tu réagirais pareil. Tu lui lanças un regard excédé qui transforma son sourire gamin en rire éclaté.

- HAHA K, MATE-MOI C'TE TRONCHE ! T'es sûre de pas vouloir de beau gosse grognon ? Moi j'te le prends alors hein !

Tu roulas des yeux en retenant des grommellements agacés. Qu'est-ce qu'il pouvait te faire chier quand il s'y mettait. C'était la présence de la bâtarde qui lui faisait enchaîner les vannes reloues comme si ça pouvait calmer son hyperactivité latente ?
Tu rebus une gorgée de café en espérant que la tornade passe vite. Elle commençait à titiller tes nerfs et ils n'en avaient pas besoin.