Great Vacation ⌖ Kaela

Il l’avait sentie. Son énergie démoniaque qui partait dans tous les sens. C’était le but, après tout, c’était la raison pour laquelle elle n’avait presque pas bougé depuis que son contrôle avait disparu. Etrangement, son pire ennemi était son meilleur allié. Elle s’accrochait aux azurs froids qui lui faisaient face. Une partie d’elle avait envie de rire, de se moquer ouvertement de son côté humain, ce côté qui comptait sur un ange. Le combat interne qu’elle menait était à la fois long, intense, mais surtout invisible pour le commun des mortels. Hugo ne pouvait pas comprendre. Elle savait que sa présence ne serait désormais qu’un problème.

- Luke… Il doit partir. murmura-t-elle dans un souffle. Kaela savait qu’Hugo risquait de ne pas écouter. La jeune femme s’adossa lentement dans sa chaise d’un mouvement contrôlé, le tout sans lâcher l’ange du regard. Ses yeux s’étaient quelque peu apaisés. Elle avait repris le dessus sur une partie d’elle-même. La question était : pour combien de temps encore ?

Kaela se tourna vers Hugo pendant que sa bouche dessinait un sourire qui se voulait sympathique mais était plus carnassier qu’autre chose. Ils ne voyaient plus ses mains, désormais sous la table, ni ce qu’elle en faisait. La jeune femme plantait les ongles d’une main dans la 2nde et inversement, essayant de garder son contrôle via la douleur.

- T’as pas dit tout à l’heure que t’avais un rendez- vous ? Tu devrais y aller.

Le sourire était toujours présent sur le visage de la jeune femme, cependant son ton n’avait aucune once de sympathie. Elle fixait intensément l’humain, qui devait probablement se sentir écrasé face au regard pesant qu’elle lui portait. Le visage de la bâtarde avait beau être souriant, il n’exprimait aucune chaleur, seulement de l’attente. Kaela avait parler sans même savoir ce qu’elle disait, ce n’était pas elle qui s’exprimait. Elle savait qu’il n’avait jamais évoqué un rendez-vous mais il semblait chercher malgré tout, et plus le temps passait, plus il semblait frustré de ne pas trouver.

- T’es sure ? J’me souviens pas
- Je crois que c’est avec un prof, Pr Tremblay ?
- Oh putain oui !

Le sourire de la démone s’élargit, devenant plus effrayant que ce qu’il était avant. Elle ne connaissait aucun Pr Tremblay en informatique, d’ailleurs il n’y en avait probablement pas. Cela n’empêcha Hugo de prendre ses affaires avant de les saluer et de se diriger vers la porte. Kaela eu un petit rire satisfait avant de s’éteindre complètement. Son visage se ferma et elle cala sa tête dans ses bras sur la table, confuse et épuisée.

Elle ne savait pas depuis combien de temps la table lui servait de lit. Penser était difficile, switcher puis lutter pour ne pas utiliser ses pouvoirs – pour le peu qu’elle pensait posséder – lui avait demander une quantité d’énergie qu’elle n’avait pas, ou plus. Elle ne comprenait pas comment elle avait réussi à faire partir Hugo aussi facilement alors qu’il semblait accroché à Luke, comme un chewing-gum dans des cheveux.

Le bruit du papier cartonné contre la peau de l’ange la ramena quelque peu à la réalité. Sans s’en rendre compte, elle avait commencé à somnoler, ses quelques pensées perdant toute logique. Le soleil la réchauffait à travers la vitre, ne l’aidant pas à rester éveillée.

La voix de Luke résonna dans sa tête. « Que comptes tu faire ? » La phrase se répétait en boucle, prenant le pas sur les pensées décousues de Kaela. Que comptait-elle faire ? Comment ça ? Quand ? Par rapport à quoi ? à qui ? Il y avait trop de réponses possibles. Elle se redressa lentement, prenant appui sur le rebord de la table. La jeune femme étira ses bras au-dessus de sa tête puis sorti la poitrine, faisant craquer le haut de sa colonne vertébrale. Elle lâcha un léger soupir de contentement. Son matelas lui manquait, elle se voyait déjà dans son lit, imaginant la sensation de sa couette sur son corps fatigué.

Malheureusement pour elle, elle était encore loin de sa chambre, et les azurs de son voisin attirèrent son regard. Ce dernier avait une façon de la fixer assez… déconcertante. Elle y voyait un mélange entre de la pitié, de l’habitude et de l’attente. Pourquoi ce mix si étrange ? Attendait-il quelque chose d’elle ? Elle pencha la tête sur le côté, essayant de se concentrer sur les dernières minutes. Ses sourcils se froncèrent légèrement pendant sa réflexion, le regard ailleurs. L’attente, les étirements, se relever, des réponses ? A quoi ? La voix résonna à nouveau dans sa tête. « Que comptes tu faire ? »

« Dormir.  » Le mot était sorti tout seul, sans une once de réflexion avant. Kaela eu presque peur de sa propre voix, n’ayant pas réalisé qu’elle avait parlé. Elle regarda son interlocuteur avant de reprendre avec un ton sans énergie. « C’que je compte faire, hein ? Dormir est un bon objectif… avant j’dois aller au secrétariat pour des papiers, tu connais… Et aujourd’hui c’est l’dernier jour, j’avais pas eu l’info, sinon crois moi j’serai déjà avec Morphée… Pour Hugo ? Hmmm… Si je le recroise je m’excuserais, j’avais pas à lui parler comme ça, je le sais. J’t’avoue je perds très rarement le contrôle comme ça, normalement j’arrive à partir avant… Enfin ‘normalement’ c’est si rare que je sais pas si on peut parler de norme…  »

Kaela marqua une courte pause.  Ses yeux avaient parcouru toute la pièce pendant son monologue, perdue dans ses réflexions. « On est d’accord j’pense à voix haute là ? » lâcha-t-elle, sans attendre de réponse. Ses yeux s’assombrirent, un mix entre de la tristesse et de la peur s’installa dans son regard. «Bref, il me reste quelques années encore avant de perdre la tête complètement et qu’on « m’enferme » pour toujours, enfin j’espère pas… en attendant j’fais de mon mieux.[» Elle se remit en face de Luke, son regard plus clair, plus léger, un petit sourire sur les lèvres. La jeune femme savait pertinemment qu’elle parlait trop à cause de sa fatigue, et qu’il avait pu entrevoir la terreur que lui inspirait sa condition.

Elle se sentait écrasée sous le regard de l’ange, trahissant la pitié qu’il avait pour elle, malgré son visage impassible. Il l’avait écouté parler en hochant la tête puis avait écrasé son gobelet. Devait-elle le prendre comme une menace ? La mettait-il en garde ? Elle essaya de se calmer, de rationnaliser. Il avait joué avec avant et c’était probablement juste une façon de continuer cette activité. Mais sait-on jamais. Kaela devenait parano. Elle savait qu’elle lui en avait déjà trop dit. Avait-elle déjà oublié le malaise que lui provoquait la présence d’un ange auprès d’elle ?

Elle entrelaça ses doigts, les mains posées sur la table. Elle fixait ces dernières en respirant lentement, soufflant doucement, essayant de redescendre de sa montée d’angoisse. Elle se rassura mentalement, se disant qu’elle serait prudente sur le chemin du retour, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas tout surveiller, ça lui couterait trop d’énergie et la mettrait encore plus à fleur de peau que ce qu’elle était déjà.

Quand il s’exprima enfin, elle fut parcourue d’un frisson d’effroi. Lethor. Du point de vue Luke, avoir quelqu’un qui la surveillait et la guidait était positif. Elle sera ses doigts les uns autour des autres, ses phalanges devenant un peu plus blanches. Son camarade de lycée n’avait jamais rien fait qui puisse la terroriser ainsi, mais elle avait vu à travers son masque et savait jusqu’où il pouvait aller. Les peurs de la jeune femme venaient de ses appréhensions. Qu’allait-il lui réclamer ? Allait-il la tuer pour son plaisir personnel ?

Kaela secoua doucement la tête, chassant les pensées stressantes de son cerveau. Luke attendait une réponse et elle ne voulait pas lui mentir. Aussi étrange que ça puisse paraître, pour elle, faire de son mieux voulait aussi dire être honnête avec son ennemi naturel. Elle ne voulait pas mourir, elle ne voulait perdre le contrôle, mais surtout : elle ne voulait pas blesser des gens ; et elle comprenait qu’on la tue pour la sécurité des humains.

« Cette personne… n’est pas comme toi, » lâcha-t-elle avec une voix basse, pour qu’il comprenne que ce n’était pas un ange qui l’avait aidé, mais bel & bien un démon. Elle soupira avant de reprendre : « Comme je te l’ai dit plus tôt, je l’ai rencontré à 17 ans… Il est parti un peu avant mes 18. J’ai pas eu de nouvelles et sincèrement ? J’en veux pas. S’il revient pour moi… Nope. Nope. »

Elle n’avait pas encore relevé la tête, mais même sans voir son visage complet, on pouvait voir la peur et l’angoisse que Lethor lui faisait ressentir. Elle avait tout de même desserré ses poings et elle releva la tête vers le blondinet. Elle ne savait pas pourquoi elle le regardait alors qu’elle se sentait si mal. Peut-être voulait-elle voir sa réaction, sachant pertinemment qu’en faisant ça, elle exposait les siennes.

Il était si froid, si distant. Il paraissait si analytique. Encore une fois, la jeune femme avait du mal à saisir qu’on soit un ange et aussi chaleureux qu’une porte de prison. Mais soit, elle devait faire avec.

Il avait posé ses questions.

Il n’avait rien ajouté. C’était visiblement suffisent pour le jeune homme. Il avait ce qu’il voulait : des réponses. Kaela l’observa. Si elle n’avait pas répondu si facilement, aurait-il insisté pour qu’elle lui dise ce qu’il voulait ? Sûrement, il avait l’air un peu borné, têtu, le genre à pas lâcher l’affaire. Comme le dirait Ma’ avec un petit rire : « Pierre qui roule n’amasse pas mousse ! »

Agissait-il toujours ainsi ? Prendre, ne rien donner… ou presque. Les pensées du la démone furent interrompues par son mouvement. Il commençait à se lever, il devait être l’heure. Mais avant qu’elle ne puisse demander cette dernière à nouveau ; elle regarda le bout de papier cartonné qu’il avait glissé sur la table.

« Luke Richardson, » ce nom lui disait un truc, mais elle ne savait pas quoi. Elle avait déjà entendu parler de lui – ou du moins de sa famille. Impossible de remettre la main sur qui, quand, pourquoi.

Elle regarda à nouveau l’ange, les yeux trahissant son incapacité à trouver ce qu’elle cherche dans sa mémoire. Elle attrapa la petite carte et la plaça dans son sac. Elle savait que ça pouvait toujours servir. Lui enverrait-elle un message ? Peut-être, peut-être pas. Kae n’avait pas encore décidé si elle voulait qu’il ait son numéro avant que ce ne soit nécessaire.

« Avant de partir, t’pourrais m’redonner l’heure s’il te plait ? » demanda-t-elle d’une voix monocorde. L’énergie l’avait quittée il y a longtemps et elle n’allait pas faire d’effort pour le glaçon qui lui faisait face.

Elle espérait que le temps s’était écoulé rapidement. Elle voulait en finir avec le malaise que la présence de l’ange lui faisait ressentir, avec l’administratif de la fac, avec le soleil qui était trop lumineux, avec les gens qui parlaient trop fort. Sa couette lui manquait terriblement et elle savait qu’elle allait devoir lutter pour ne pas s’endormir dans le bus sur le chemin du retour.