QUOI ?! (ft Kaela Roy)

Kaela rigola face à la réaction du bâtard. Il accuse Ez du complot, et elle d’en faire partie. A sa place, l’étudiante aurait pensé la même chose. L’histoire avait l’air de se répéter en boucle pour le pauvre Orpheus. Mais c’était plus fort qu’elle, elle ne pouvait pas ne pas en rire.

Elle se prépara une nouvelle crêpe en réfléchissant rapidement à la situation. Elle avait connu les deux hommes via Samantha, mais le jumeau n’avait jamais parlé de la vie amoure- amicale de sa sœur. Elle eut un petit sourire amusé aux souvenirs qui remontaient de sa mémoire.

« Si ça peut te rassurer, il ne m’a jamais parlé de toi et si tu n’en avais pas parlé, je n’aurais pas su que vous vous connaissez. »

Le pauvre n’avait pas l’air à l’aise après s’être lâché ainsi, mais il en avait visiblement besoin. Kaela trouvait cela intéressant. Aux dire d’Orpheus, Ezéquiel avait l’air relativement apprécié des autres – sauf du bâtard. Elle scruta le visage de son hôte quelques instants. Savoir ce qu’on pouvait reprocher à Ez était aussi une façon d’apprendre à le connaître et tout le monde ne pouvait pas s’apprécier.

« Ah ba… tu peux râler, mais je ne te garantis pas que je resterai silencieuse ou n’essayerai pas de le défendre. »

Comment expliquer sa relation avec le beau Curtis ? Il fallait réfléchir, choisir les mots, les poser. Elle croqua dans sa crêpe, pensive. Ses yeux pétillaient légèrement, trahissant les sentiments qu’elle éprouvait pour Ezéquiel. Les iris gris se posèrent alors sur Orpheus et son sourire grandit doucement.

« Hm… Déjà notre relation n’est pas encore complètement sérieuse, ça vient doucement mais on n’est pas officiellement ensemble, pour l’instant. On s’est vu plusieurs fois, et y’a ce truc… J’ai l’impression qu’il me comprend comme personne ne m’a jamais compris avant. Il a beau ne pas savoir pour nous – et je ne veux pas lui en parler pour l’instant – il a quand même compris que j’avais un secret. Il s’est ouvert, dès le début il a été honnête, sincère. Et puis y’a cette complicité qu’on a ensemble, c’est naturel, être avec lui m’apaise. Je… »

Elle s’arrêta, perdue dans ses pensées, dans ses paroles. Elle regarda son assiette, n’osant plus affronter les yeux d’Orpheus, avant de reprendre d’une voix presque inaudible :

« J’ai l’impression d’avoir le contrôle. »

S’il n’avait pas commencé à parler, elle serait restée avec son air béat sur le visage à penser à Ezéquiel. A leur rendez-vous, leurs messages. Peut-être pouvait-elle raconter à Orpheus l’aventure du premier rendez-vous ? Les bones, la course poursuite, la baston ! Non, ce n’était pas son idée la plus brillante, elle risquait simplement d’inquiéter le bâtard et d’augmenter le clivage entre eux. Mais elle avait tant envie d’en parler à quelqu’un d’autre qu’Ezéquiel.

Elle va se répéter mais : il est mignon. Il croit que c’est platonique, il est vraiment le dernier au courant. Kaela eu un sourire tendre en le regardant. Non, elle n’allait pas faire parti de ce complot-là. Elle lui laisserait au moins croire qu’elle ne pensait pas qu’ils finiraient ensemble. La future médecin les avait vus étudier ensemble et elle pouvait affirmer que les deux vivaient dans le déni. Il faudrait les mettre devant un miroir, quoique ça ne marcherait même pas. Pour rendre sa stratégie crédible elle lança d’un air innocent :

« Pourquoi ton entourage pense ça ? »

Puis croqua dans sa crêpe, faisant mine de réfléchir sérieusement à la question. Elle reprit :

« Mais toi tu voudrais sortir avec Sam ? Te sens pas obligé de répondre, c’est juste si tout le monde vous dit ce genre de chose mais que vous êtes pas intéressés ça doit être agaçant… Après avec Sam on parle plus de cadavres que d’autres choses, donc c’pas comme si je pouvais t’informer sur quoique ce soit… »

Elle abusait peut-être un peu, mais cela la faisait marrer. Et puis il ne s’en rendrait même pas compte, non, les gens avaient du mal à être critique avec elle. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi, mais elle était douée pour manipuler les gens contre leur gré… contre son gré. Bon là, on en était pas au point de manipuler des gens ou de le convaincre. Le but c’était surtout de le voir paniquer à l’idée de sortir avec Sam sans même se rendre compte qu’il panique. On a tous des potes comme ça, complètement clueless.

Kaela attaqua une nouvelle crêpe. La pile descendait rapidement mais c’était si bon. Kaela réfléchissait à sa question. Allait-elle prévenir Ezéquiel un jour ? Oui, non. C’était si dur. L’avenir, le futur. Le temps défile à une vitesse folle. Tic-tac. Tu seras bientôt morte. Son regard s’assombrit. Il était couvert d’un voile de tristesse, de peur, d’appréhension. Elle sentait presque la panique monter, presque.

Elle ne s’était pas rendu compte à quel point elle ne se cachait pas devant Orpheus, elle n’avait pas fui son regard, elle ne s’était pas protégée. Elle n’avait pas chassé la pensée parasite aussi vite qu’avant. Elle l’avait un peu plus ressentie. Peut-être que s’occuper de toutes ces craintes qui la hantent et les faire sortir pouvait l’aider ?

« Je t’avoue que… je ne sais pas trop. Comme je te l’ai dit : c’est pas encore sérieux entre nous, mais je veux vraiment que ça le devienne. Mais si ça le devient et qu’on reste ensemble assez longtemps pour que je deviennes complètement barge… Enfin j’aimerai rester avec aussi longtemps que possible donc faudrait que je lui dise, genre si après je me fais terminer par quelqu’un ce serai surement mieux qu’il sache pourquoi je suis morte, non ? Et même avant ça s’il comprend pas pourquoi je suis totalement folle et qu’il voit que je lui dis pas je pense pas que ça irai non plus… Mais, d’un autre côté, si je lui dis pas, je le protège de tout ça, non ? Ou est-ce que c’est une idée naïve de croire qu’il sera protégé s’il ne sait pas que sa copine.. enfin, je veux dire, je suis pas sa copine mais… Je m’embrouille ! En plus, vu que c’est un Bones, il est déjà pas très bien entouré, que ce soit en humain ou en démon… »

Elle croqua dans sa crêpe, pensive avant de réaliser tout ce qu’elle venait de déballer. Elle était restée étonnement calme dans son ton, ne se rendant pas compte de la larme qui avait coulé sur sa joue. Elle avait bien plus de sentiments enfouis dans son cœur que ceux qu’elle voyait. La présence d’Orpheus dans le futur l’aiderai surement à les exprimer. Il pouvait la comprendre.

Il n’a tellement pas conscience de ses sentiments que ça en devient surréaliste à voir. Pauvre Samantha. Cela dit, elle ne cache pas spécialement bien les siens non plus. Heureusement pour Kaela qu’ils n’étaient pas encore ensemble car la chandelle était déjà assez lourde comme ça.

S’imaginer en couple. Se projeter. L’avenir. Le futur. L’incertain. La mort peut-être. Dur choix que de décider s’il fallait s’isoler des autres ou profiter tant qu’il en était encore temps. Respirer. Elle allait bientôt avoir 22 ans, dans quelques semaines. Non, elle avait 22 ans, mais pas encore, pas dans son cœur. Il lui restait du temps.

Kae avait du mal à s’imaginer sans lui. Et pourtant. Elle avait presque envie qu’Ezéquiel la rejette pour ne pas l’embarquer dans toutes ces histoires, qu’il la repousse et lui dise de ne jamais revenir. Et cette idée lui brisait le cœur. A ses côtés, elle se sentait en contrôle et pourtant, elle était terriblement impuissante.

Kaela posa le reste de sa crêpe. Elle avait beau être délicieuse, son appétit avait disparu. L’angoisse montait de plus en plus. Les peurs, les doutes. L’ombre de Lethor planait constamment sur sa vie. Il influençait ses choix à un certain degrés mais elle n’agissait pas pour se protéger de lui, de son retour. Devait-elle s’empêcher de vivre pour protéger en prenant le risque de passer à côté de sa vie ou devait-elle vivre comme elle le souhaitait, et prier que les conséquences ne soient pas trop douloureuses pour ses proches. Elle ne voyait aucune issue sans souffrance.

Elle observait ses mains sur ses genoux, sa frange cachant partiellement son visage. Réalisait-elle qu’elle pleurait ? Non, en tout cas, pas avant d’avoir vu une larme s’écrasé sur sa cuisse. Il lui parlait des jumeaux, de sa décision, de ses crises. Elle entendait sans écouter, sans comprendre. Non, elle comprenait, mais elle n’arrivait pas à mettre le tout en lien avec elle, avec Ez.

« Ca me donne le vertige… Je ne veux pas vivre ça, je ne veux pas sombrer. Après des crises sensorielles j’ai déjà prié pour me réveiller humaine le lendemain. Plot twist : ça ne marche pas. »

Un sourire triste habillait son visage. Les années passaient et jamais elle ne se posait pour y réfléchir. Un moment de silence ou d’ennui ? La musique, le sport. Le reste du temps : ses études bien trop longues pour son espérance de vie, bien trop intense pour la laisser penser ; mais si intéressantes.

« Et puis j’ai pas envie de mourir. J’ai peur de ne pas réussir à gérer les crises, que mes derniers instants de lucidité soit remplis de l’angoisse d’être traquée par anges et démons voulant ma mort. Comme Lethor. Comme Luke. »

Jamais elle n’oublierait Luke. Si froid et si aidant. Si contradictoire. Mais il ne faisait pas parti de sa vie. Ils s’étaient croisés il y a déjà un an, elle n’avait jamais envoyé de message. Elle n’avait jamais revu son ami lourd et rempli d’énergie – dont elle avait oublié le prénom malgré le comportement qu’elle avait eu en face de lui.

Elle se perdait dans sa tête, laissant les silences remplir le salon dont l’air était empli d’odeurs sucrées qui rendraient jaloux n’importe quel collégien. Elle voulait reprendre son goûter, le savourer, mais tout avait désormais le goût amer de la peur et de l’angoisse.

« Pour revenir à Ez… Je ne sais pas. Je ne pense pas être capable de prendre cette décision maintenant, mais il faudra quand même que j’y réfléchisse vite… Après tout, ne pas choisir c’est aussi un choix. Et puis… »

Elle avala sa salive. Ce qu’elle allait dire lui coutait, car formuler ce que l’on sait à voix haute, c’est aussi se l’avouer à soi-même. Et elle ne voulait pas confesser ce qu’elle savait être la vérité. Elle ne voulait pas regarder les faits en face. Elle ne pouvait pas accuser l’alcool et elle le savait.

« … Je suis sûre d’avoir utilisé mes pouvoirs devant lui, au moins deux fois. Dès le premier soir. »

La fin de sa phrase résonnait dans ses propres oreilles. Elle avait l’impression d’avouer un crime, elle se sentait irresponsable et bête, comme si elle avait pu gérer le tout. En soit elle avait géré le pire. Elle n’avait pas frappé l’autre tête à claque Arthus. Mais à ses yeux ce n’était pas suffisant, non. Ezéquiel avait pu voir sa rapidité à plusieurs reprises. Elle soupira.

« Je sais comment ça sonne, mais je te jure que normalement j’arrive très bien à gérer tout ça. La preuve : je passe des heures aux urgences à courir partout sans que personne ne voit quoique ce soit car il n’y a simplement rien à voir. »

Se justifier, encore et toujours. Avait-elle peur de la réaction du bâtard ? Sûrement. Comment ne pas être terrifié lorsque l’on avoue ses crimes et que l’on affronte enfin sa culpabilité ? Elle n’en savait rien. Elle ne savait plus rien. Toutes les inconnues de sa vie dansaient sous ses yeux : la folie, ses études, Sienna, Ezéquiel, Lethor, la mort, les anges, les démons. Elle devrait les regarder en face à un moment et prendre des décisions car, après tout, ne pas choisir est un choix.

Elle rigola un instant. Ezequiel lui faire plus d'effet que prévu ? Et comment. C'est parti d'un simple "et pourquoi pas ?" en le voyant aurprès de Sam une fois. Et en une soirée elle s'en était déjà amouraché. Ils avaient eu ces moments hors du temps, hors des doutes et des troubles qui les animent. Avait-il vu sa vitesse ? Savait-il à quel point c'était anormal ? Tant de questions sans réponse.

Le visage de la bâtarde gardait un sourire triste. Elle écoutait Orpheus parler. Exprimer ses connaissances infinies quant à la stupidité d'Ez. Son sourire devint un peu plus amusé. L'albinos n'était pas aussi con qu'Orpheus ne voulait se l'avouer. Et Orpheus avait trop d'égo et d'amour pour Sam pour l'accepter.

Son démon, ses pouvoirs. Elle ne connaissait que si peu de tout ça. Oui Lethor lui avait beaucoup appris. Mais non, elle n'avait pas exploré davantages, trop paralysée par la peur de se faire tuer au moindre faux pas.

Kaela soupira avant d'essuyer sa joue d'un revers de main. Elle redressa sa tête, regardant Orpheus avec un léger sourire. Elle soupira un léger merci. La montée d'angoisse était redescendue aussi vite qu'elle n'était montée. La jeune bâtarde se sentait entendue, écoutée, comprise. Il ne la jugeait pas. Il savait ce qu'elle vivait. Il était passer par là.

Apprendre à se pardonner c'était... compliqué. Être indulgent envers soi-même n'est jamais une mince affaire. Et pourtant, Kaela savait pardonner, elle savait faire preuve d'empathie, de compassion. Elle l'avait toujours fait. Que ce soit avec ses amis, ses proches, les familles des patients à l'hôpital qui agressent les soignants par désespoir.

La bâtarde repris la crêpe qu'elle avait abandonné. Oui, elle pouvait se laisser un moment de répit. Le monde n'allait pas arrêter de tourner car elle mangeait le goûter et qu'elle profitait d'un moment agréable avec une personne qu'elle apprécie. Elle savoura sa bouchée en fermant les yeux un instant.

« Tu sais... je crois qu'avant toi, je n'ai jamais pu être totalement moi-même. Pas dans le sens ou je ne suis pas honnête ou moi avec les autres. Mais ici je sais que si je vais un peu vite ou qu'il prend le contrôle un peu plus, ça n'aura pas d'impact négatif sur ma vie, sur notre relation. Car on est pareil toi et moi, et ça fait du bien, ça soulage. J'avais peur d'être jugée alors qu'on vit les mêmes choses. Du coup, merci Orpheus, de me donner ce temps pour ça. »

Elle lui souriait sincèrement. On aurai presque dit une déclaration, heureusement que Ziel n'était pas là pour entendre ça. Avec lui elle était elle-même et vulnérable sur sa vie, sur sa personnalité. Avec Orph elle l'était sur sa différence, sur son état d'entre deux. De bâtarde.

« Un truc un peu compliqué, c'est que je sais pas qui est mon père. Non pas que je veuille devenir proche d'un démon, mais plus que j'ai aucune idée de quel genre de démon il est. Y'a jamais un matin où je me suis levée et j'ai sorti un boule de feu de je sais pas où quoi. Je ne sais pas de quoi je suis capable. Je ne connais pas mes pouvoirs du tout, et ça fait un peu peur. C'était comment ça pour toi ? »