Ezequiel...
is the sweetest death

Ezequiel, est-ce réellement toi ?

Au milieu de cette petite table, parmi les assiettes sales, les papiers administratifs, se trouve un petit vase, transparent, rempli au tier d’eau. Une rose rouge s’y tient, magnifique. Doucement, un pétale se détache, virevolte, et se dépose sur le parquet noir. Rien n’est éternel, pas même la beauté de cette fleur. Pas même la tienne.

Tu observes ce macabre spectacle, le souffle court, les poing serrés. Les cheveux en bataille, tu ne les as pas épargnés, quelques mèches gisent encore dans tes doigts fins. Les yeux rougis par les larmes, chacune de tes respirations te fait l’effet d’éclat de verre qui aurait rencontré tes poumons. Cet appartement, avec tous ces vêtements qui recouvrent le sol, la mousse qui sort de ton canapé, les papiers que tu n’as jamais ouverts, cet appartement qui représente que trop bien tout ce qui ne va pas dans ta vie. Tout ce qui fait qu’aujourd’hui, tu es épuisé. Qu’aujourd’hui, tu n’arrives plus à pleurer, à hurler, à appeler à l’aide. Qu’aujourd’hui, tu es condamné à cette vie solitaire, loin d’elle. A cette vie fade, à ces matins où tu te regardes dans le miroir sans te reconnaitre. Tu ères sans savoir, sans aucun but. Tu te laisses porter, assis dans le fond d’une barque. Recrovillé, est-ce l’enfant qui n’a jamais eu le temps de naitre que tu entends hurler dans le fond ? Tu es désolé, tellement désolé ne jamais lui avoir laisser la place de vivre. Cet homme qui se tient devant toi, ce démon, quel visage a-t-il ? Tu ne le connais que trop bien, sans vouloir accepter de le voir. Le visage de ton père, celui de ce monstre qui sans le moindre regret a écrasé tout espoir d’existence, tout espoir d’issue de secours. Celui qui, malgré le fait qu’il est enfermé à des kilomètres de toi, a gardé un contrôle total sur toi.

Celui que tu vois chaque matin dans ce miroir, que tu vois dans chacune de ces clopes que tu portes à tes lèvres, dans chacun de ses verres que tu bois, dans chacun de ces accès de colère. Tu ne vois que lui dans tes yeux qui te paraissent si vides. Celui que tu vois dans les yeux de ta sœur. Combien de temps avant qu’elle ne réalise que son frère est un minable ? Combien de temps ? Combien de temps avant que la crainte n’envahisse son regard quand tu l’approches ? Combien de temps avant qu’elle ne baisse les yeux devant toi ? Combien de temps avant qu’elle ne réalise ?

Combien ? As-tu seulement conscience de l’étendue de cette souffrance qui te bouffe Ezequiel ? Regarde de toi, assis à même le sol, n’arrivant même plus à hurler, à pleurer, à respirer. A te frapper désespérément la tête, dans l’espoir de contrôler ne serait-ce qu’un peu toutes ces pensées. Voilà Ezequiel. Réalise. Réalise que tu n’as jamais réellement grandi, que tu es toujours dans l’attente de voir s’épanouir l’enfant qui tente de subsister parmi les déchets, au sein de cet être brisé, habillé de guenilles, que tu es. Attiré dans les abysses par des forces que tu crois supérieures à toi, tu as beau tendre la main, la silhouette fine de ta sœur ne devient qu’un lointain souvenir. Vos doigts ne font que se frôler sans que vous ne parveniez à établir un contact. Tu sombres, ta vision se trouble.

Ta tête se fracasse sur le sol, tu poses tes mains sur tes oreilles. Tu veux que tout ça se taise, que tout ça se tasse. Tu veux t’endormir. Tu veux que ta respiration s’apaise, tu veux survivre. Tu as l’impression que tu ne le peux pas, que tu ne le peux plus. Ton corps céderait-il ? Il ne le peut pas. Il ne le doit pas. Pour elle.

Non. Samantha n’a pas réellement conscience de la personne que tu es. Elle connait tes crises de colère. Celle à laquelle tu es confronté actuellement, elle n’y a jamais fait face. Samantha. Sam. Ta sœur. Ta jumelle. La prunelle de tes yeux. Tu n’arrives pas à faire entendre ta voix, tu n’arrives pas à réellement lui dire tout ce que tu as sur le cœur. Il y a une barrière, que tu ne peux pas franchir. C’est ce 159 tatoué sur ta hanche qui t’empêche de communiquer, d’être toi-même. Tu le sais, mais comment survivre sans son squelette ? Tu n’en sais rien, tu ne sais plus, tout se mélange, rien n’a de sens, ce foutu bordel, tu n’y comprends rien. Tu détestes en parler à ta sœur car tu n’as aucune des réponses dont elle a besoin, aucune des réponses dont tu as besoin. Le néant. C’est tout ce que t’inspire ta vie, ton avenir, ton passé, ton caractère, ton physique. Tout ça, c’est rien. Rien de compliqué à vivre, rien de compliqué à oublier. Tu n’es qu’un coup de vent, on te sent à peine passer, et on t’oublie aussitôt.

Tu tentes tant bien que mal de te redresser, et te traine jusqu’à ta banque, tu saisis un couteau. Dès que c’est fait, ton corps est rappelé à l’ordre par la gravité, tu t’écrases sur le sol. Tu arraches ta chemise, tremblant de tout tes membres. Tu regardes cette fine lame tranchante. Un sourire se trace doucement sur tes lèvres, et tu laisses tomber ta tête, observant calmement le petit tatouage numéral. Tu poses la lame fraiche contre ta hanche. Tu as les mains moites. Tu détestes avoir les mains moites. Tu commences à tracer un petit trait autour de ce 159, un filet de sang s’en échappe, sa course effrénée stoppée par ton pantalon. Tes mouvements s’arrêtent, ta bouche se crispe. Une larme ose se glisser sur ta joue, avec le peu de force qu’il te reste, tu lances le couteau, et abats tes poings contre le sol, poussant un hurlement qui brise le silence de ce petit appartement sombre et sans vie. Un hurlement. Un mot.

« SAAAAAAAAAAAAAAAAAM ! »

Tu pleures. Sans te retenir. Un appel à l’aide. Tu as besoin de ses bras autour de toi, tu as besoin de sa voix qui te réconforte, tu as besoin d’elle. Tu n’arrives pas à t’en sortir sans elle, tu le sais, pourtant, tu es incapable de le lui dire. Incapable de prononcer ces mots, incapable de pleurer comme tu le fais là pour qu’elle ait réellement conscience de l’étendu de ta détresse, d’à quel point son frangin est brisé, à quel point c’est un putain de miracle que son cœur veuille bien battre tant il a abandonné l’idée de vivre heureux.  Tu aurais aimé qu’elle entende ce cri, qu’elle vienne à toi.

Pour une fois, tu es honnête avec toi-même. Tu ne t’en sortiras pas seul. Tu redresses la tête, et observes la faible lueur qu’émet l’ampoule. Tu poses une main sur ton cœur, et tentes de reprendre ton souffle. Quelques secondes, tu ne demandes que quelques secondes avec elle. Tu veux qu’elle voie toute cette faiblesse, tu veux qu’elle entende ta souffrance. Elle en a déjà conscience, mais tu as besoin de la lui dire, de la lui décrire. De la rendre tangible, tu as besoin de lever le masque, tu as besoin de la montrer au grand jour.

Tu aimes ta sœur, c’est ce qui te maintient en vie. N’est-ce pas ce que vous avez toujours fait ? Vous entraider… Eh bien aujourd’hui plus que n’importe quel jour, tu as besoin d’elle. Tu te répètes, mais c’est toi que tu motives. Tu le réalises, doucement mais sûrement. Mieux vaut tard que jamais, nan ? Tu dois essayer de la joindre. Tu glisses ta main dans ta poche. Tu saisis ton téléphone, le lâches une première fois. Tu as si mal à la tête… Tu l’attrapes, le débloques… Heureusement qu’il y a une empreinte digitale. Après mainte et maint essai, tu parviens à ouvrir tes messages. Tu ne peux pas l’appeler, c’est trop compliqué. Tu appuies tant bien que mal sur le clavier tactile, et envoies le message. Tu n’as pas vu ce que tu as écris, tu comptes sur le correcteur automatique pour rendre le message compréhensible.

Message Sam:

Tes mains ne supportent pas le poids du petit appareil plus longtemps, tu le laisses s’écraser sur le sol. Tu t’en sortiras, tu sais que tu en as la force. Il faut juste que tu arrives à parler, à t’ouvrir. Tu le mérites. Tu as le droit à ce bonheur, autant que n’importe qui.

Tu t’accordes le droit d’être toi. Enfin.