Retrouvailles ¤ Alistair

Tu le plaques contre le mur. La colère ravage ton regard. Cet homme ne t’a rien fait, si ce n’est son silence sur l’endroit où habite ton frère. Mais depuis qu’Ange a perturbé tes sens, tes émotions, tu as le besoin de laisser ta colère ressortir dès que tu fais face à un obstacle. Tu lui assènes un poing qu’il n’est pas prêt d’oublier, lui attrape le col pour le redresser et le plaquer à nouveau contre le mur. Retrouver ton frère. C’est tout ce que tu veux. Tu veux que la première réelle interaction soit avec lui. Ce n’est pas possible autrement : il est de très loin ce qui t’angoisse le plus, mais c’est de lui dont tu as besoin : « Ecoute moi bien sale merde, tu vas me dire où il habite, et plus vite que ça. Trêve de bavardage, tu n’as absolument pas envie de t’attirer ma colère, tout comme tu n'aurais pas envie de t’attirer celle de mon frère. »

Il ouvre de grands yeux. Vraisemblablement, Alistair a parlé de toi. Et ça, ça te ferait presque sourire. A quel point va-t-il te casser la gueule lorsqu’il va te voir ? Dans tous les cas, la simple mention de votre lien bien trop précieux a tes yeux a suffit à délier sa langue. Il te donne toutes les informations dont tu as besoin, et ce avec le sourire. Plus aucune rancœur dans son regard, plus aucune amertume dans sa manière de se comporter. Toi, tu ne le remercies pas. Tu t’éloignes dans un silence, le menaçant simplement des pires des tortures s’il vient à dire à Alistair que tu es de retour. C’est à toi de le faire.

Et c’est ainsi que, quelques heures plus tard, tu es debout, devant l’immeuble dans lequel se trouve son appartement. Tu lèves les yeux. Tu ne sais pas trop ce que tu cherches sur la face bétonnée et probablement froide du bâtiment. Du courage, peut-être. Tu sais que ces retrouvailles vont être douloureuses et compliquées pour toi. Mais ce démon est celui qui t’a fait tenir, sans même le savoir. Avec Céleste. Mais elle, tu espères ne pas la revoir. Jamais. Tu aurais bien trop peur de refaire un connerie de taille, comme celle que tu as faite il y a 10 ans de cela.

Tu escalades rapidement les quelques marches, entre le code du bâtiment que tu as eu grâce au collaborateur de ton frère. C’est quand même dingue comme la simple évocation de ton affiliation à Alistair a suffi à le faire parler. C’est en marchant que tu montes les escaliers, marche par marche, jusqu’à la porte du chevalier. Naturellement, tes doigts frôlent ton cache-œil. La seule trace qu’Ange ait réellement laissée sur toi. De quoi te motiver pour la retrouver. Et la détruire.

Mais aussi de quoi te faire brûler sous la honte dès que tu croises cet œil détruit par la folie de cette démone. Le rappel que pendant 10 ans, tu as été faible. Plus faible que jamais, et qu’il en reste des traces indélébiles. Suffisamment indélébiles pour que l’immortalité perde tout son sens à tes yeux…

Tu approches doucement ta main de la porte, referme ton poing. Il reste suspendu quelques secondes, tu ne sais pas si tu fais bien de faire le grand retour dans sa vie. Mais la seule manière de savoir, c’est d’essayer non ? Alors tu toques. 3 fois. En espérant simplement que lorsque vos regards se croiseront, il te reconnaitra, parce que même toi, tu n’y arrives plus.

Par pitié, tu espères vraiment qu’il ne te rejettera pas.

Une étreinte. Ton frère te prend dans ses bras. La première émotion qui te gagne est la surprise. Elle te fige sur place, tu restes droit comme un I. Tu ne sais pas comment réagir. Dans ta tête, le contact a tellement été associé à quelque chose de fondamentalement mauvais ces 10 dernières années que tu veux profiter de cette douce sensation que celle que tu ressens actuellement : une étreinte saine, sans que tu ne sentes la mort planer au-dessus de ta tête. Parce que non, tu ne crois pas à ses menaces de mort. Il y a bien trop de soulagement dans sa voix pour qu’il ne te tue. Te casse la gueule, peut-être, te plonger dans le coma, peut-être, mais il n’ira jamais jusqu’à te précipiter aussi tôt en Enfer alors qu’il vient tout juste de te retrouver.

La seconde émotion, c’est un profond soulagement. Tu es rentré. Tu es en vie. Alors doucement, tu ramènes tes bras contre le dos de ton frère, et l’enlace. Peut-être bien que tu serres trop fort. Mais tu veux sentir qu’il est bel et bien là. C’est marrant, mais tu crois qu’en ce moment même, tu es un peu au même niveau que ces pauvres bébés humains qui ont perdu leurs parents dans un magasin trop grand après quelques secondes d’inattention de leur famille.

Et la troisième, c’est une profonde peur. Peur que tout ça ne soit qu’un de ces rêves, qu’une de ces illusions bien trop réalistes qui t’ont hanté ces dernières années. Tu crains de te réveiller, et de voir le visage de cette démone que tu finiras par étriper de tes mains. Alors tu le serres encore un peu plus. Une dernière fois, puis il se libère.

Chasser toutes ces émotions parasites. Si tu dois te réveiller, tu te réveilleras. En attendant, tu veux offrir à ce moment l’attention qu’il mérite. Un petit sourire attristé étire tes lèvres, tu pousses un petit sourire et acquiesces. Tu n’as pas encore parlé. Sais-tu seulement encore le faire ? D’une voix brisée par les milles et une émotions qui ont traversé ta caboche, tu réponds : « Tu sauras tout. »

Alors tu entres, le laisses t’enfermer. Tu as pris l’habitude, ces 10 dernières années. D’être enfermé. Toi qui a toujours été libre comme l’air. Tu en rirais presque tant tu trouves ça ironique. Tu regardes autour de toi. Alors il a sa p’tite vie. Son appartement. Ouais, ça te fait bizarre de te dire que des gens ont continué à vivre alors qu’à toi, on t’a volé 10 ans de ta vie. Tu ne trouves pas ça particulièrement… agréable. Mais bon, c’est comme ça, la Terre tourne, avec ou sans toi.

Tu te retournes enfin en direction de ton frangin : « Je balaye tes doutes : non, je n’ai pas fuit un quelconque accident de parcours de type un gosse ou ce genre de merde. A la toute base, j’ai bel et bien fuit quelque chose, mais je te promet que ce n’était pas censé durer aussi longtemps, et encore moins sans te prévenir. Et que ce n’est pas faute d’avoir essayé. » Tu regardes par la fenêtre après ces quelques mots : « Avant toute chose, avant que je te raconte quoi que ce soit, je veux que tu me promettes quelque chose. »

Tu orientes à nouveau ton attention sur lui. Tu t’avances de quelques pas afin que vous soyez plus proche : « Et c’est directement à Abaddon que je vais m’adresser : contrôle ta colère. Ne me vole pas ma vengeance. Promets-le. »

Sa jambe. Il stresse. Il angoisse. Son sourire. Tristesse. Désarroi. Ton frère t’inspire des sentiments de plus en plus négatif, tellement que tu te demandes si réellement, il avait envie que tu reviennes dans sa vie. Tu doutes. Tu doutes de ta légitimité à te présenter face à lui. Tu doutes de la vision qu’il doit avoir de toi, Arkan. Tu ne parles pas de Phobos ici, cet être, tu ne l’incarnes que dans cette vie, et ce ne serait pas la première que tu passes sans Abaddon. Non, tu parles de toi, en tant que démon, et en tant que frère d’Abaddon.

Il semble encore plus brisé qu’avant ton départ. Est-ce que tout le monde a passé 10 ans de misère dans ton entourage ? Ce n’est pas impossible, vu son état… Il finit par poser des conditions. Si la première ne te pose pas de problème, tu avoues que la deuxième te fait légèrement grimacer. Qu’il prenne part à ta vengeance… Tu comptais lui demander de l’aide si tu finissais par en avoir besoin, mais tu n’as pas envie de partir du postulat que tu ne t’en sortiras pas sans lui.

Il tend les bras. Et ça, c’est violent. Tu sais que trop bien ce qu’il veut que tu fasses. Des siècles, des millénaires que vous vous connaissez. Et il a perdu confiance en toi. Il ne te reste donc plus rien. Tu savais que le retour à la réalité allait être violent, mais tu ne pensais pas que ça allait être à ce point. Tu prends une grande inspiration, puis acquiesces : « Bien, marché conclu.»

Tu t’avances jusqu’à lui, relève les manches et lui offre tes poignets, paumes dirigées vers le plafond. Ton regard est braqué dans celui de ton frangin. Tu vas devoir parler. Tu vas devoir mettre des mots pour la première fois sur ce que tu as vécu ces 10 dernières années face à la personne qui tu aimes le plus dans ce foutu monde, mais qui, par définition, te terrifie tout autant. Tu as vraiment peur qu’il te rejette. Tu te sens si petit, d’un coup.

Une nouvelle inspiration. Calmer ton rythme cardiaque. A l’heure actuelle, tout ce qu’il peut ressentir, c’est ton immense stress, et tu crains que ça ne l’aide pas à être certain que tu mens, ou non. Tu fermes les yeux, continues de te concentrer sur ta respiration. Un battement de cœur. Deux battements. De plus en plus lent. Tu en profites pour organiser tes idées, ranger les pensées parasites dans tes petites cases, loin du sujet principal. Tu fous ton humour douteux au placard : tu n’as pas envie de te cacher derrière. Tu as souffert. Et tu ne veux plus en rire pour tenter de l’oublier.

Et enfin, tu rouvres l’œil qui est visible : « Je vais retirer mon bandeau. Ça va te donner un premier aperçu. »

Un premier aperçu de cette triste réalité qu’a été la tienne. Tu reprends le contrôle sur une seule de tes mains, lui laissant l’autre, et tire sur la simple ficelle qu’il y a derrière. Il tombe, libérant ton œil dorénavant aveugle, traversé d’une cicatrice. Minime, mais bel et bien présente. Tu lui redonnes ta main : « Bien. J’expliquerai cette partie de l’histoire plus tard, tu m’as demandé de t’expliquer la raison de mon départ. La réponse est plutôt simple : Céleste. Je me suis rendu compte que j’étais bien plus attaché à elle que je ne le pensais, et ça m’a fait peur, alors j’ai fuit avec une autre femme du nom d’Ange. Initialement, tu devais être au courant, mais on va dire que cette femme, cette démone, m’a un peu coupé dans mon élan… Revenons-en à Céleste : tu n’es pas sans savoir que c’est ma versus, et de ce fait, elle est aussi attirante que terrifiante. Et j’ai fait preuve d’une lâcheté juste démesurée, et je me suis dis que si je m’éloignais, j’allais peut-être guérir de cet…amour ? que j’avais pour elle. Je sais, c’est ridicule, mais en 3100 ans d’existence, l’amour n’est pas quelque chose que j’ai réellement pris le temps d’expérimenter, et je ne voulais pas que ça entre dans ma vie maintenant, surtout avec elle, alors j’ai tenté de le détourner. Sur Ange. Et je n’ai jamais pris une décision aussi pourrie de ma vie. »

Tu pousses un petit soupir. La vérité, rien que la vérité : « Tu n’imagines même pas à quel point j’ai honte, alors s’il te plait, ne m’enfonce pas trop. »

Ce vide que ton frère arrive à installer ne t’a jamais fait peur. Tu ne le connais. Tu sais qui est Abaddon, et tu sais pourquoi il fait ça. S’il se laisse submerger par ses émotions, il sait aussi bien que toi qu’il sera incapable de t’aider, et que tu te retrouveras plutôt à tenter désespérément de le calmer, jusqu’à appeler son frère d’arme parce qu’il est bien le seul à réussir à faire cet exploit rapidement et sans trop de difficulté. Mais passons.

Ses mots te rassurent. Tu as passé beaucoup de temps à te rabaisser, à te frapper mentalement. Tu brûles sous la honte, tellement que tu as sincèrement pensé que ça allait lui faire la même chose. Qu’il allait te voir comme tu te vois toi. Tu ravales tes larmes, tu ravales tes émotions. Si tu craques maintenant, tu n’arriveras pas à parler correctement. Alors tu prends une grande inspiration, ferme les yeux quelques instants.

Flash. Son visage. Ses cheveux. La sensation de ses doigts sur ton corps meurtri par les coups. L’odeur du sang. Ton sang. Vision d’horreur. Un flingue. Elle le braque sur toi. Tire. Tu retiens un hurlement, un simple gémissement sort. Son rire. Tu relèves la tête, te mords la lèvre inférieure. Perle de sang. Cette dernière cède sous la pression. Ange s’approche de toi, te lèche la bouche, murmure quelques mots que tu ne comprends pas. Tu la laisses faire. Tu as cessé de te débattre, tu sais que ça ne sert à rien, si ce n’est empirer ta situation. « Nous devrions faire l’amour. » Tu acquiesces. Tu esquisses même un sourire, pour lui faire plaisir. De toute façon, tu en as besoin, pour guérir de tes blessures. Tu relèves les yeux. Alistair. Juste derrière elle. « Au secours ». Un simple murmure. L’ombre de cet être que tu aimes plus que tout se détourne de toi, t’abandonnant à ton sort. Et c’est à nouveau ses mains que tu sens, puis ses ongles qui se plantent dans ta peau. Malgré toi, une larme glisse le long de ta joue, puis ton regard se vide de toute émotion, tu te déconnectes de ton corps, c’est comme si tu t’endors.

Tu ouvres alors les yeux. La chaleur de ses mains à lui, qui contraste nettement avec elle. Elle avait toujours les mains froides. Et cette fois-ci, il te regarde droit dans les yeux. Il est réellement là. Et c’est fou, parce que tu as à nouveau envie de le prendre dans tes bras. Tu te fais force pour continuer à le regarder dans les yeux. Tes yeux se sont bordés de larmes, et tu ne le sens même pas. De toute façon, tu n’arrives plus à pleurer. Enfin, c’est ce que tu croyais, mais avec lui, tu menaces sérieusement de craquer. Soupir. Tu te grattes la gorge pour décoincer ta voix, et reprends : « Je suis donc parti avec elle. Au départ, tout allait bien, c’est après que ça s’est gâté. J’ai passé 3100 ans à pourrir la vie des gens, j’ai détruit Nour, lui ai volé toute dignité. Je n’aurais jamais pensé que le karma se chargerait de moi à ce point-là. Ange est bien plus puissante que moi. Je n’ai rien pu faire contre elle : elle a commencé à me frapper. Elle m’a séquestré. J’ai tenté de fuir, d’appeler à l’aide. De t’appeler toi. Mais rien n’y faisait, elle finissait par reprendre le contrôle, et me punissait. Elle me frappait. Et au-delà de ça… »

Tu lâches un rire purement nerveux, tu vas devoir le dire à voix haute. Tu vas devoir concrétiser ce moment-là de ta vie. Tu relèves la tête, prends une nouvelle inspiration : « Excuse-moi. » Tu libères une de tes mains et vient frotter tes yeux pour chasser les larmes. Tu regardes ensuite ta main, qui est légèrement humide : « Eh bien… Je ne m’en pensais plus capable. » Tu lui rends ensuite ton poignet, et reprends, laissant ce vide te regagner, juste le temps de dire ces quelques mots qui te coûtent grandement : « Elle m’a violé. Je n’aurais jamais pensé ça possible, je suis un incube. Je n’aurais jamais cru pouvoir ressentir cette immense souffrance, celle d’être bafouée, piétinée, écrasée. Brûler sous la honte, sous l’envie de disparaitre. Mettre son égo de côté parce que de toute façon, dans ce genre de moment, on n’en a plus. Oublier qu’on existe, n’être plus qu’un tas de chair dont l’autre profite sans se soucier de ce qu’on peut désirer au plus profond de nous-même. Le voir se satisfaire de notre souffrance. Je n’ai tellement pas eu le droit d’exister avec elle que j’en viens à ne plus parler de moi à la première personne du singulier, je passe ça sous un « nous », sous un « on ». Mais non, c’est moi qu’elle a violé, c’est moi qu’elle a tué. »

Tu as tout dit d’une traite. Tu secoues légèrement ta tête pour remettre tes idées en place. C’est vraiment violent d’en parler. Ça fait mal : « J’en venais à avoir des hallucinations, je croyais te voir, je croyais voir Céleste, j’ai même cru voir nos « parents » à un moment donné. Mais il n’en était rien, et j’ai tellement déliré que j’en viens à me demander si j’ai réellement réussi à m’échapper de cet enfer, que je viens à m’en demander si tu es réellement là, et non pas un énième délire de mon esprit malade. J’ai peur de me réveiller à nouveau à côté d’elle, j’ai peur que tu ne sois qu’un rêve. »

Et cette terreur commence à se voir physiquement parlant, tu trembles. A nouveau, tes yeux se bordent de larmes : « Ali, je vais craquer… » Craquer. Pleurer. Te laisser aller. Même si tout cela n’est qu’un rêve, tu veux au moins avoir le droit de pleurer dans ce monde-là. C’est tout ce qu’il te reste, de toute façon. Une bribe de souvenirs sans trop de sens des moments passés avec Abaddon, et sa silhouette qui hante chacune de tes journées, et de tes nuits.

Malgré ton angoisse, tu la sens, sa colère. Tu le sens, qui bouillonne. Ses pulsions meurtrières, tu les vois. Tu les vois au niveau de sa tempe, sa mâchoire se crispe, faisant ressortir ses veines. Ses yeux. Oh son regard. Si tu n’étais pas complètement à l’ouest, peut-être que tu aurais eu peur pour ta peau. Peut-être que tu aurais crains que ça ne se retourne contre toi. Peut-être que tu te serais demandé s’il t’en voulait à ce point-là d’avoir disparu. Pourtant, des vies sans lui, tu en as passé quelques-unes. En soit, vous n’avez pas eu envie de vous tuer, vous n’avez simplement pas réussi à vous trouver, ce qui peut arriver. Et le risque de trop chercher l’autre, c’est que vous risquez de ne jamais vous croiser : le monde est certes petit, mais suffisamment grand pour vous faire tourner en bourrique assez rapidement. La différence ici, c’est que vous avez réussi à vous trouver. Vous avez passé votre enfance ensemble. Puis tu as disparu. Sans laisser aucune trace, sans le contacter une seule fois. Tu ne peux imaginer combien de scénarios il a pu se faire. Peut-être qu’il t’avait perdu pour toujours. Peut-être qu’on t’a pris ton essence et que jamais tu ne reviendras ou qu’alors, tu ne te souviendras plus de lui. De tous les scénarios qui ont pu défiler dans sa tête, le moins pire a peut-être fini par être celui où simplement, tu étais en train de te faire torturer en Enfer pour quelques siècles à cause d’une mort débile dont toi-seul a le secret. Genre bouffer par un chat parce que tu te demandais ce que ça faisait d’être une mouche. Et encore, pour ça, tu n’es même plus certain que les princes t’aient torturé : ils se sont sûrement simplement foutus de ta gueule, c’était déjà bien assez humiliant comme ça.

Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est la colère d’Alistair. Ou d’Abaddon, tu ne sais pas, tu ne sais plus. Le sujet, c’est les garrots que ton frère te fait aux poignets. Ce sont tes mains qui vont sûrement finir par tomber, faut dire que le sang n’afflue plus réellement. Tu ne sais pas quoi dire pour le rassurer. Tu ne sais même pas réellement si des mots existent pour cela. Alors tu te contentes de garder le silence, bêtement. Tu ne peux contrôler les larmes, alors tu pleures. Simplement, tu pleures. Tu aimerais avoir la force de ne pas pleurer, mais c’est impossible.

Il pose une main sur ta nuque puis te prends dans ses bras, relâchant au passage tes pauvres poignets qu’il torturait. Tu te laisses faire. Ça te fait du bien. Ça t’apaise. Tu te sens en sécurité. 10 ans. 10 ans que tu ne t’es pas senti en sécurité. Des millénaires. Des millénaires que ça ne t’était pas arrivé, de te sentir en danger. La réelle dernière fois, c’est lorsqu’Alistair t’a tué lors de ta première vie. C’est pour dire…

Il s’excuse. Alistair Malus s’excuse. Rien que ça, ça te ferait douter de sa réelle présence dans cette pièce. Tu recommences à te dire que tu n’es peut-être que dans une énième rêverie et que la douleur, encore une fois, te réveillera. Comme pour mettre fin à tes hypothèses foireuses, il te rassure. Te dit qu’il est là, que tu peux rester chez lui. Il te promet que c’est fini. Tu as le droit de pleurer.

Si tu parvenais encore à retenir tes larmes, il n’en est plus rien. Tu t’en fous de paraitre minable. Tu t’en fiches. Les verrous se débloquent. Enfin, tu relèves les bras pour lui rendre son étreinte. Tu pleures. Tu pleures à n’en plus pouvoir. De temps à autre, ce sont des gémissements de douleurs qui t’échappent, témoins d’une souffrance trop longtemps retenue. Pour l’instant, tu n’arrives pas à parler mais ce n’est pas grave. Tu te laisses aller, simplement. Tu te libères de ces chaines. Tu essayes de te retrouver. Non pas que ce soit ton genre de pleurer : c’est surtout qu’avant cela, tu n’avais jamais réellement connu quoi que ce soit qui aurait pu te faire pleurer. Non pas que tu n’aies jamais souffert, mais ce n’était pas aussi profond.

Enfin, tu parviens à te calmer, un peu. A respirer, un peu. A lui parler, un peu : « Je suis tellement désolé Ali… pour tout. Je suis désolé d’avoir fait preuve de faiblesse, je suis désolé de faire preuve de faiblesse. Je suis désolé d’avoir fui, à la base de tout cela, sans te prévenir avant de quoi que ce soit. Je suis désolé d’avoir agi comme un idiot… »
Parce que c’est ainsi que tu t’estimes, dorénavant. Un idiot. Un imbécile qui aurait pu éviter tout ce qui lui est arrivé s’il avait fait preuve d’un peu plus de jugeotte.

Mais l’amour rend con, pas vrai ?