Encore un verre ?!

Tu la regardes s’affairer dans ton appartement, suivant ses mouvements du regard. Elle disparait quelques secondes dans le couloir, tu devines facilement qu’elle se dirige vers la salle de bain. Le temps de son absence, tu observes l’état de tes bras. Ce ne sont pas les blessures que tu viens de recevoir, tes mains sont plutôt épargnées. Non, ce sont toutes ces blessures d’antan que Kaela va finir par découvrir. Elle ne te lâchera pas avant de t’avoir retiré ta chemise, tu le sais parfaitement. Cette pensée te tire un sourire, puis un soupire. Il semblerait que tu vas devoir lui fournir des explications tant qu’à ta présence dans un foyer un petit peu plus tôt que prévu initialement, et… ça t’embête. Tes cicatrises sont ton plus grand complexe. Pas parce que tu les trouves moches, ou quoique ce sont dans ce genre, mais parce qu’elles te ramènent constamment à ton enfance, cette période où tes démons se sont créés, où tes géniteurs les ont fait sortir de l’ombre. Tu les caresses du bout des doigts. Tes bras sont épargnés comparés au reste de ton corps, ces blessures peuvent facilement passés pour des petits soucis de routine, à cause de bagarres un peu trop virulentes. Tu as toujours réussi à les expliquer sans attirer les soupçons de tes interlocuteurs : tu doutes que ça se passera comme ça cette fois-ci. Ces scientifiques… Non, ça n’échappera pas à son œil avisé d’étudiante, une personne qui s’y connait ne gobera jamais tes bobards. Encore moins si elle sait que tu as été en foyer, comme ça a été ton cas.

Tu repenses au petit pic qu’elle t’a lancé avant de disparaitre de ton champ de vision. Ton sourire s’agrandit une fois de plus, et tes mains que tu regardais attentivement se fourrent dans ta chevelure. Oh mon Dieu. Tu n’avais pas imaginé qu’ils étaient à ce point-là en bataille… Tu sors ton téléphone, et te regardes dans l’écran noir. Un rire nerveux manque de t’échapper. Arthus a-t-il conscience du temps que tu mets à discipliner cette tignasse ? Elle t’aura vu dans tous tes états ce soir la pauvre femme. Tu arranges ton cas, hanté par l’image que tu dégages actuellement. Une fois que c’est fait, tu te regardes à nouveau : mieux. Ce n’est pas parfait, mais de toute façon, ça ne pourra jamais l’être. Tu ranges le petit appareil dans ta poche.

Kaela réapparait avec la petite boite rouge. Elle dépose sa veste, puis vient jusqu’à toi d’un air décidé. Elle se place à tes côtés. Ses paroles te provoquent un petit rire. Ce serait mentir que de dire que tu n’angoisses pas. Hormis ta sœur, tu n’as jamais parlé d’eux à qui que ce soit. Tu es resté tapis dans un silence qui a probablement contribué à ta chute dans les Enfers. Tu es resté seul. Réellement seul, loin de ta sœur, loin de Liam, loin de toutes ces personnes qui t’ont pourtant tendu la main un bon nombre de fois. Et ce soir, tu es résolu. Tu t’apprêtes à dévoiler cette part de noir en toi à une femme que tu ne connais réellement que depuis quelques heures, et que tu as entraperçu qu’une fois avant ce date. Cette inquiétude ne se lit pas dans ton regard : tu es bien trop habitué à dissimiler ce que tu ressens réellement. La totalité de votre enfance, ta sœur et toi n’avez été que des machines, apprenant des autres les émotions que vous deviez laisser transparaitre sur vos visages. La joie. La colère. La tristesse. La notion la plus compliquée, c’était le rire. Vous avez commis quelques erreurs au début, certains ont vu que toute cette histoire sonnait faux. Ils n’ont rien fait pour autant.

Non. Ne pas penser à eux. Ne pas penser à ces gens qui vous ont regardé couler sans rien dire, ça va t’énerver. Vous étiez bien trop jeune pour vivre tout ça. Tu secoues une nouvelle fois la tête. Il faut qu’elle reste accrochée à tes épaules, tu ne dois pas te laisser dériver maintenant. Tu as envie de tenter de la dissuader de déboutonner ce bouton, mais tu devines à son regard qu’elle n’écoutera aucune de tes contestations. A quoi bon perdre son énergie ? Tu détestes les belles paroles en plus, autant faire ça vite, que vous passiez à autre chose. Ta voix résonne enfin dans l’appartement, teinté de cette légère ironie qui est ta marque de fabrique.

« Quand je fais quelque chose, je ne le fais jamais à moitié ! Tu devrais être heureuse que je m’implique autant dans mon rôle play ! »

Ses doigts viennent saisir le premier bouton, sans exercer de pression sur ce dernier pour l’instant. Un petit air résigné s’affiche sur ton visage, tu lui laisses cette victoire.

Alors que tu allais lui répondre, elle s’approche doucement de ton oreille, et y chuchote quelques mots. Rien de flagrant, mais tu sens un frisson traversé ta colonne vertébrale. La flamme amusée dans ton regard devient incendie. Tu le plonges dans le sien, et réponds simplement :

« Tu es si bien partie, je ne vais pas te stopper maintenant… Je te préviens, tu n’es pas prête pour ce que tu t’apprêtes à découvrir~ »

Pour une fois, tu ne parles pas de ta musculature, même s’il y a tout de même un petit sous-entendu. Non, tu parles de tes cicatrices. Tu parles de ce petit tatouage situé en haut de ta hanche, qu’elle va pouvoir entrapercevoir. Elle est déjà au courant, mais ça te fait toujours bizarre de le montrer. Ça concrétise ce lien que tu as avec la mafia, et ce n’est un secret pour personne que tu préfères réellement éviter d’en parler. Maintenant que tu y penses, tu as de la chance d’avoir une aussi bonne réputation en tant que prostitué, vu l’état de ton corps. A moins que ce soit ça qui te permette d’avoir des clients aussi prestigieux ? Tu n’as aucune idée de ce que dise ces hommes et ces femmes dans ton dos. Ils n’ont pas encore laissé d’avis sur tripadvisor ces cons, c’est compliqué de se forger un avis.

Ne me regardez pas comme ça. C’est une blague. Vraiment aucun sens de l’humour ceux-là.

Ce qui se passe entre vous n’a rien d’un battle de regard. Cette fois-ci, il n’y a aucune lueur de jeu dans son regard. Aucune espièglerie. Non. Cette flamme-là, tu la connais que trop bien. C’est ton métier après tout, ta routine, ce que tu vois tous les soirs. Ça aurait été surprenant que cette réaction-là t’échappe, surtout venant d’elle. J’explique : elle a piqué ton intérêt. Elle est réellement différente des personnes que tu as déjà pu ramener chez toi, déjà : elle connait ton nom, et ton prénom. Ensuite : tu prends du bon temps. Tu t’amuses, ce n’est pas à sens unique pour une fois. Tu as envie qu’elle te connaisse réellement, tu crains qu’elle finisse par fuir une fois que ce sera fait. Elle a déjà affronté les Bones. Alors, cette chaleur qui se dégage d’elle te… rassure. Et encore une fois : elle te donne une arme de taille. Elle rentre pleinement dans ton domaine, s’il y a bien une chose avec laquelle tu sais jouer, c’est bien cette flamme qui brûle en elle.

Tu retiens un sourire amusé, il ne faut pas que tu lui lances de pic à ce sujet. Vas-tu réussir à conserver dans ta petite caboche toutes les éventuelles taquineries que tu pourrais lui sortir ? Tu en doutes, mais pour l’instant, tu dois tenir. Tu te concentres sur son sourire, qui trahit aussi les pensées qui la parcoure. Elle transpire l’envie, c’est vraiment amusant. De la torture de ne pas la taquiner. Le premier bouton cède. Elle rompt le contact visuel : eh bien Kae, c’est trop compliqué de résister à la tentation ? Tu sens une nouvelle fois son souffle contre ton oreille. Pendant qu’elle ne te regarde pas, tu laisses un sourire plus que malicieux te gagner. Ça te coûte de l’avouer, mais tu es réellement satisfait de l’effet que tu lui fais… Tu as réellement été toi-même avec elle, tu n’as pas cherché à être quelqu’un d’autre. Sa réaction est d’autant plus authentique à tes yeux.

Encore une fois, tu frissonnes. Tu as vraiment envie de rire. Ce n’est pas trop le moment-là Ezequiel… Ton esprit a complètement retourné sa phrase, tu te demandes si c’était volontaire de sa part ou non. Tu ne sauras probablement jamais.

Elle a presque réussi à te faire oublier la honte qui gravite autour de tes blessures d’antan. Honte qui revient rapidement à la charge lorsque le deuxième bouton saute, et qu’elle s’éloigne de toi. Elle a vraiment chaud la pauvre… Non. Ne pas lui lancer de pic, résister. Tu es plus fort que ça, je crois en toi mon gars ! Ses yeux se posent d’abord sur tes mains, remontent le long de tes bras. Elle passa rapidement ces parties-ci de ton corps, ce qui ne va pas pour t’arranger : ce sont les moins amochés. Tu sens ton rythme cardiaque accéléré. Tu stresses. C’est horrible. Kaela commence à découvrir le haut de ton torse, tu jettes un coup d’œil à son visage, cherchant à analyser ses réactions. Elle ne s’attarde pas sur ces marques du passé. Surprenante. Elle te lance un petit sourire qui, tu ne vas pas mentir, te rassure. T’apaise. Elle finit de déboutonner ta chemise, et se reconcentres sur ton ventre. Tu sens ses doigts parcourir la zone endolorie, sans pour autant augmenter ta douleur. Elle est méticuleuse, douce.

Elle finit par établir son diagnostic, puis se redresse, se dirigeant vers ton frigidaire. Tu ne vas pas tenir. Tu vas finir par lui lancer des pics concernant ton état. C’est bien trop tentant. Ça te brûle la langue. Elle revient. Elle est rapide. Et forte. Tu ne te questionnes pas davantage sur cet état, ton cerveau se dit que c’est normal. Tu conserves la poche de glace improvisée contre ton ventre, tandis qu’elle s’attaque à tes lèvres.

Tu jettes un regard haineux au petit flacon que tu détestes par-dessus tout. Même Arthus est plus agréable que lui. Elle pose la compresse contre ta lèvre, tu retiens une grimace pour ne pas la déranger. Tu vas te venger. Qu’elle en soit certaine. Une fois terminée, elle enchaine avec du froid.

Cette fois, tu laisses l’amusement gagné ton visage, une flamme plus que joueuse embrase ton visage. Tu laisses clairement entrevoir que tu as remarqué son état. Malgré sa concentration, elle ne t’a pas dupé. Tu as envie de la remercier de n’avoir poser aucune question, d’avoir fait comme si l’état de ton corps est normal. Pour l’instant, ce n’est pas le sujet. Tu préfères le garder pour toi, tant qu’elle ne posera pas de question à ce sujet. Elle doit se douter que maintenant qu’elle a vu tout ça, tu seras plus ouvert sur le sujet. Tu balayes ces pensées.

« J’suis plus du genre rentre dedans… C’est trop subtil pour moi tout ça… Je peux te faire une démonstration de « ma stratégie », si tu veux… Même si, au vu de ton regard et de la chaleur de ton corps, celle-ci a eu son p’tit effet !»

Quoi ?! C’était trop tentant, tu n’y peux rien. Tu lâches un rire, et passes une main contre sa joue, la remonte jusqu’à son front, et fais comme si tu lui prenais la température. Tu te fous clairement de sa gueule. Ça te fait beaucoup rire. Ta main retourne contre ton corps.

« On continue notre p’tit jeu Kae ? Je pense que tu t’en doutes : je retire la seule condition qui me concernait. Tu en as suffisamment vu de toute façon, on peut parler de mon passé. Pose des questions précises, histoire de ne pas récolter énormément d’infos d’un coup, ce serait inégalitaire, ça me vexerait !»

Plus efficace ? Et dire que tu n’as même pas cherché à avoir un quelconque résultat… Imaginez si ça avait été le cas. Kaela s’empourpre une nouvelle fois, renforçant le rictus amusé qui flotte sur tes lèvres. Tu regardes ta main, repensant à la chaleur que tu as senti contre celle-ci quelques secondes plus tôt. Tu balayes de tes pensées les sous-entendues, et penses à Kaela en elle-même, ce qui t’attire chez elle. Tu ne saurais pas réellement le déterminer. Ce n’est pas que tu ne le veux pas, c’est qu’il y a trop de choses en même temps. Tes pensées ont toujours été un sacré bordel, mais elle n’arrange rien. Les coups que tu as pris aussi d’ailleurs… Eh bien mon Ezequiel, il semblerait bien que Kaela ne soit pas la seule à se chercher des excuses ? C’est adorable, j’adore te voir dans cet état ! Tu t’enfonces un petit peu plus profondément dans le canapé, et regardes rapidement ton ventre. Ta chemise est toujours ouverte, tu l’as oublié. Tu observes les multitudes de cicatrices, te remémorant la douleur et l’origine de chacune d’entre elle. Tu ne te souviens pas de tout, et encore heureux que ton cerveau purge un petit peu ces informations-là. Il te fait suffisamment chier comme ça avec ton passé…

Ok. Tu poses ta main sur ta bouche, retenant un éclat de rire. Un ordre. Une tentative désespérée de faire cesser les petites moqueries que tu lui lances depuis tout à l’heure. Elle continue sa tirade, ses lèvres se tordant en une expression qu’elle voulait sûrement être boudeuse…

« Hmm… Je vous rassure mademoiselle la fausse malade, vous n’avez pas de fièvre ! Il semblerait que la cause de cette bouffée de chaleur soit tout autre… Vous n’auriez pas une petite idée ? Votre diagnostic est bon, je ne suis pas les ordres, on m’appelle l’électron libre dans le milieu~»

C’est totalement faux. Et encore heureux, tu aurais détesté que ce soit le con. Déjà, tu n’aimes pas les surnoms de base. Tu cotoies pas mal de personnes, tu sais que c’est inévitable… Tu préfères être vu par tes qualités au travail plutôt que pour ton étonnante capacité à déroger aux ordres. Dans tous les cas, tu connais tes clients : tu sais qui aiment être surpris, et qui ne l’aiment pas. Même si aucun d’entre eux n’est heureux quand tu ne viens pas sans prévenir… Mais tu sais qu’il ne t’en tiendra pas rigueur : il a l’habitude. Si Gregory savait le nombre de fois que t’es allé flâner sans les prévenir… Il ne ferait rien, c’est trop une tapette. Tu l’as oublié. En parlant des Bones, Kaela refait une allusion à ce qu’il s’est passé plus tôt dans la soirée. Nouvelle main dans les cheveux. C’est marrant, cette angoisse que tu ressens instinctivement à chaque fois qu’on te parle des Bones. C’est marrant que, en ayant conscience de cette information, tu ne te rendes pas compte d’à quel point ton lien avec cette mafia te fait sombrer toujours plus profond… Tu es naïf, tu ne veux pas ouvrir les yeux, ce qui n’est pas si grave que ça pour le moment. Tu finiras bien par t’en rendre compte, je te fais confiance. Il faut cependant que tu le fasses tout seul, je ne peux pas tout faire à ta place… Tu lâches un petit hoquet amusé :

« Je suis une personne horrible, je sais. C’est parce que je suis un gangster, un bad boy~ (tu te fous de ta propre gueule, oui oui.) Pour répondre à ta question, ce n’est pas réellement une question de principe. Simplement des ordres. Arthus est un petit chien bien plus obéissant que moi. Jusqu’au jour où c’est lui qui tranchera la gorge de Gregory. »

Tu esquisses un sourire. Arthus fait très bien les yeux de biche. Il fait en sorte d’être le point de chute favoris de Gregory parce qu’il en a besoin pour l’instant. Lorsque ce ne sera plus le cas, tu ne donnes pas cher de la peau de Greg. Ce ne sera pas une grande perte, tu t’es déjà fait à l’idée sans trop de soucis, ou d’appréhension.

Kaela relance le jeu. Elle réfléchit pendant quelques instants, cherche à faire durer le suspense, sans que ça n’ait un quelconque effet sur toi. Tu es bien trop occupé à la contempler pour ça : la lumière de l’ampoule qui se reflète dans ses yeux, le petit rire qu’elle lâche. Elle finit par se tourner à nouveau vers toi : vrai de vrai, tu avais complètement oublié la poche de glace qui se trouve contre ta joue. Elle la pose sur la table basse, puis secoue énergiquement ses mains. Ses yeux se posent sur ton ventre, puis se plante à nouveau dans tes yeux. Oui Kaela, c’est son cœur que tu as entendu accélérer.

La question tombe, te plongeant immédiatement dans une légère réflexion. Avant cela, tu lances d’un air faussement agacé :

« Eh, ça fait deux questions ça ! »

Elle observe pendant quelques instants ton tatouage. Tu n’y prêtes pas attention, et lèves à ton tour les yeux vers le plafond pour réfléchir. Toutes ces notions sont plutôt bancales… ça dépend réellement, donc c’est compliqué de lui donner des valeurs exactes : tu les connais toi-même pas.

« Ça dépend énormément des semaines, de la notoriété du client que j’ai… Je fais en sorte d’arranger tout le monde, donc même mes prix ne sont pas réellement fixés, je vois ça avec le client directement. Je suis censé travailler tous les soirs, et j’ai minimum deux clients par soir. Je te laisse calculer ce que ça fait en une semaine du coup. Concernant les prix, ce n’est pas du tout stable non plus, mais disons que quand je fais 4000 euros sur le mois, c’est vraiment que j’ai glandé. Ça rapporte bien, les Bones sont des patrons de merde, mais au moins, ils payent bien. Puis, vu que je ne suis pas de nature dépensière, mon compte va super bien ! »

Contrairement à toi… Tu balayes cette nouvelle pensée de ton esprit. Tu as suffisamment d’argent pour te racheter un canapé, pourtant, cette antiquité trône toujours dans ton salon… Faut vraiment que tu t’en reprennes un… Ce sera plus joli en plus.

« Ça te convient ? Je ne peux pas te donner mieux, je n’ai moi-même pas les valeurs précises en tête puisqu’elles n’existent pas… »

L’alcool. Evidemment. Si évident que ça t’a à peine effleuré l’esprit. La colère embrase son regard quand tu évoques Arthus. C’est l’effet qu’il fait à beaucoup de gens, tu as réussi à maitriser cet agacement lorsque tu le vois, mais ça t’a demandé du temps. C’est de la provocation simple, il ne sert à rien de lui donner crédit, ça ne ferait que satisfaire, et correspondre à ses plans machiavéliques. Tu te contentes de le regarder en hochant de la tête, et en rentrant dans son jeu. Il n’est rien de plus qu’une grande gueule à tes yeux, lorsque tu t’en es rendu compte, il a perdu la totalité de sa crédibilité à tes yeux. Tu sais juste qu’en face à face, vous êtes à égalité niveau force, à peu près, qu’il ne faut jamais que tu ne le sous-estimes sur ce plan-là. Elle secoue la tête, tu devines aisément ce qu’elle essaye de faire. Tu l’as toi-même fait à répétition ce soir. Tenter de balayer des pensées désagréables qui s’immiscent un petit peu trop dans l’intimité.

Elle décide alors que ta réponse lui convient. Tant mieux. Ce qui est réellement intéressant, c’est le petit geste qui suit son approbation. Sa main qui caresse tendrement ton visage, ses yeux plongés dans les tiens. Indépendamment de ta volonté, ton sourire gagne en douceur, ton regard aussi. Vous passez du jeu à la tendresse, de la mer déchaînée à un cours d’eau tranquille. Sans rompre le contact physique et visuel, Kaela réclame quelque chose à boire. Le long surnom qu’elle te donne te tire un rire, ta main va à son tour caresser sa joue. Sa peau est douce.

Petit-à-petit, tu la rejoins. Tu la rejoins dans cette envie de l’embrasser, sans pouvoir accuser l’alcool. Il n’est pas simple de la réfréner. Si vous n’étiez pas les yeux dans les yeux, tu aurais probablement lancé un coup d’œil à ses lèvres, un message silencieux qui est simple à comprendre. Mais non. A contre cœur, tu romps le contact visuel, et te lèves.

« Tout de suite madame la p’tite tête. Et c'est vachement long comme surnom ! Petite information gratuite : je déteste les surnoms. Hormis ma soeur, j'ai envie de taper les gens quand ils me donnent des surnoms, c'est vraiment ma hantise. Rassure toi, tu es épargnée aussi par ces envies de violence, ce qui est plutôt étonnant d'ailleurs. »

Tu te diriges vers le placard où tu ranges tes verres, en saisis deux. Tu te sers un verre d’eau. Le sourire a disparu de tes lèvres, tu gardes un air qui se veut sérieux :

« Jus de pomme ou eau ? Excuse-moi, je n’ai pas grand-chose. Puis, pourquoi as-tu chaud ? »

Le jeu. C’est à toi de poser la question. Et tu veux la mettre dans… l’embarras. Qu’elle le dise à voix haute, un plaisir coupable. C’est compliqué de ne pas craquer à l’amusement, tu as envie de mourir de rire.

Des adolescents. Tu n’as jamais réellement eu ce genre de vie, tu n’as jamais réellement cherché à avoir de relation de ce genre. T’as dragué des gens, tu en as même fait ton métier, mais jamais dans le but d’avoir de relations sérieuses. Tu estimes être trop instable pour t’accorder ce privilège, tu ne veux blesser personne. Mais voilà que Kaela et toi jouez, enchainant des réactions d’adolescents de 16 ans. Tu n’es pas réellement sûr de ce que tu avances, mais c’est ce que tu as pu voir dans des films. C’est la seule chose à laquelle tu peux te référencer, c’est un peu triste nan ?

Pas encore… Cela veut-il dire qu’elle finira par le faire ? Tant que ce n’est pas un surnom trop ridicule… Ceux-là, même venant de ta sœur, il t’agace. Pourtant, tu es entrainé, rappelons que tu es relativement proche de Liam, et qu’il ne t’épargne absolument pas. Au contraire, il t’enchaine, tu peines à reprendre ton souffle quand il est là. Il t’attaque à coup de « Zielichou d’amouuuur », ce qui a le don de profondément t’agacer. Pourtant, tu restes potes avec lui. Je vous l’ai déjà dit, Ezequiel est un peu maso sur les bords, ne soyez pas surpris !

Les verres d’eau dans les mains, tu te diriges vers le canapé. Kaela a conservé un sourire joueur, elle savoure ce moment autant que toi. Manifestement, elle tente de faire durer le suspense, de te faire languir de sa réponse… Tu as grillé une question pour une réponse que tu connaissais déjà, pour le simple plaisir de l’entendre dire à voix haute. La curiosité de savoir si elle arrivera à te le dire de manière naturelle, ce qui te donnera un indice sur à quel point elle est à l’aise avec ce sujet, et avec toi. C’est plus profond que ce qu’elle peut penser ! Tu calcules relativement bien tes coups, généralement.
Ses yeux te scrutent, te tirant un petit rire. Pour faire ce qu’elle fait actuellement, beaucoup de gens doivent payer. Eh oui, même te mater, ça a un prix ! C’est rare que des gens te détaillent comme elle le fait en dehors du boulot. Tout ce qu’elle dégage actuellement est une réponse en soit, qui est presque plus claire que des paroles. Il est largement possible que le langage corporel mente, mais il faut être doué. Les mots sont bien plus traitres. Sauf dans ce petit jeu… Pas le droit au mensonge, c’est la seule règle. La vérité, uniquement la vérité.

Tu prends à nouveau place à ses côtés. Elle savoure sa gorgée. Il faut bien, l’eau, il n’y en aura plus dans trente ans ! Ouais, t’es un peu pessimiste, mais ce genre de pensées te font rire… Ou pleurer, tu ne sais pas trop, c’est un mélange étrange. Pendant qu’elle s’hydrate, tu la détailles à ton tour du regard. Elle est vraiment jolie. Tu te demandes si elle en a réellement conscience, à quel point elle a confiance en elle. Tu te demandes quels sont ses petits complexes, ou au contraire, ce qu’elle aime bien chez elle. D’où vient-elle ? Quelle est sa couleur favorite, ses passes temps, sa journée type ? Elle est plutôt café ou thé ? Sucré ou salé ? Toutes ces petites questions dont tu te contrefous habituellement, et qui te viennent à l’esprit. Toutes ces petites questions que TU as banni de ce jeu, parce qu’elles sont trop banales.

Tu veux connaitre son quotidien, espérer qu’elle aime les croissants pour lui en apporter le matin. Malgré toi, cette pensée te fait sourire. Je vous l’ai dit : un gamin de 16 piges.

« Terrible… C’est le délai d’attente pour avoir une réponse qui est terrible ! »

Aucune ironie. Tu commences à se languir de connaitre sa réponse. Enfin, tu la connais déjà, mais vous m’avez compris. Ta lèvre inférieure va se coincer entre tes deux, jusqu’à être libéré en un sourire simple, dénudé du jeu dans lequel vous êtes plongés. C’est compliqué de rester neutre, de faire comme si cette discussion lors d’un premier date est normale.

« Moi ? Perspicace ? Je suis un mec Kaela, il faut tout me dire, tout le temps, sinon, je ne comprends rien ! »

Elle rompt le contact visuel, et se regarde. Toi, tu conserves un air un peu bénin, feignant l’incompréhension tant qu’aux réactions que la jeune femme a. Tu adores ce rôle. Tu adores ce jeu. On l’a déjà dit plein de fois, je saiiiiis ! Ce n’est pas ma faute si c’est ce à quoi pense Ziel en ce moment, j’vais pas lui inventer une vie non plus !

« Pourtant, il est très bien ce haut ! Il ne fait pas chaud dehors, ça aurait été dommage que tu attrapes froid ! »

Ton sourire trahi le rôle que tu t’efforces de jouer. Ta voix a failli se casser sous l’amusement, t’es à deux doigts du fou rire. Ce n’est pas réellement le rôle en soit qui te fait rire, ce sont les pensées qui l’accompagnent. C’est précisément comme ça que tu imagines Orpheus par rapport à Sam. Les deux s’envoient mutuellement des signaux peu imaginables entre eux, pourtant, il met la tête dans le trou. Sam aussi remarque, mais tu trouves ta sœur bien moins ridicule. Orpheus, c’est réellement l’idiot que tu t’amuses à jouer actuellement.

Doux Jésus. Dans le mouvement de Kaela, tu crois voir Liam. Encore une fois, tu manques de mourir de rire. Trop de personnes affluent dans ton esprit, il faut que tu te reconcentres. Garder ce rôle d’Orph- de mec idiot qui ne comprend rien. Lapsus révélateur, pardonnez-moi.

« Ha nan mais t’as raison, une bière et demie, c’est largement suffisant pour être dans cet état ! Tout le monde serait un peu éméché à ta place ! »

Tu papillonnes des yeux, renforçant cet air bêta plaqué sur ton visage. Qu’est-ce que la situation t’amuse bordel ! Tu te mets rarement dans ce genre d’état, encore moins devant une personne que tu connais à peine. Tu n’aimes pas lâcher prise, tu crains toujours d’aller trop loin, de chuter trop bas. Pourtant, actuellement, tu n’y penses même pas. Aucune lueur de crainte dans ton regard. Juste de l’amusement, dissimilé derrière une fausse flamme innocente. Un joli mélange, dont tu es plutôt fier.
Elle te provoque une nouvelle fois. Tu commences à croire qu’elle peine à trouver ses mots la pauvre bichette. Tu l’aiderais bien, mais à l’heure actuelle, tu es le pauvre idiot du village qui ne comprend rien. Nan, vraiment, désolé Orpheus, mais Ziel est en train de plaquer son comportement sur le tien. Même quand t’es pas là, il se fout de ta gueule, tu te fais bully à un point que tu n’imagines même pas. Perso, ça me fait énormément rire.

Je disgresse ! Kaela chute. Elle a monté un véritable mur pour sauter une fois en haut. Encore une fois, ça manque de te faire rire. Elle s’empourpre, puis bégaies un « je » timide. Tête basse, elle finit par lâcher un petit rire. Elle est vraiment lunatique. Comme toi ! Joue-t-elle aussi un rôle ? Vous êtes vraiment deux phénomènes.
Elle finit enfin par parler. Tu retiens le sourire que cette confession te provoque. Il faut que tu joues encore un peu.

« Mais c’est totalement bête ! Te mettre contre moi alors que tu as chaud, ça va juste tout empirer ! »

En un énième de seconde, ton sourire idiot disparait, ta main se pose contre la joue de la jeune femme. Tu prends appui sur ton bras libre. Te voilà au-dessus d’elle. Ton regard a recouvert cette flamme joueuse, tu peux sentir son souffle contre ton visage, et tu imagines que c’est réciproque. Du pouce, tu caresses doucement sa joue. Cette proximité avec elle te satisfait grandement, tu l’apprécies. Elle est agréable, et tu avoues que tu aimerais que cela dure. A ton tour, tu bloques ton regard dans le sien, ta main empêchant la jeune femme de le détourner.
Dans un murmure, tu ajoutes :

« C’était presque agaçant que tu joues avec moi à ce point-là… Tu me permets de te rendre la pareille ? »

Tu orientes volontairement ton souffle contre ses lèvres. Tout est contrôlé. Tout est voulu. Si tu t’écoutais, tes lèvres auraient déjà frôlé les siennes, ne faisant qu’augmenter la provocation, mais tu n’as pas envie de trop la brusquer non plus…
Ouais, ça aussi c’est une blague. Rappelons que le but est de pousser l’autre dans ses retranchements. Ces pensées t’ont traversé l’esprit alors même que tes lèvres frôler les siennes, avant de déposer un baiser sur sa joue. Une fois que c’est fait, tu pousses sur ton bras, et t’éloignes d’elle, retenant le rire qui menace vraiment de t’échapper. Tu n’es pas gêné. Enfin, je crois que tu n’es pas gêné, parce que tu penses à trop de truc en même temps-là, même moi, je n’arrive pas à suivre.

« C’est à toi de poser une question. »

T’es calme. Trop calme. Un vrai gamin.